De la tribu à l'Etat
(Introduction à une Anthropogenèse des sociétés précoloniales du Burkina Faso)
Communication à l’Atelier des historiens sur
l’histoire des royaumes et chefferies traditionnelles du Burkina Faso
Dr Valère D. Somé
Anthropo-économiste
Chargé de recherche à l’INSS
Introduction
De nos jours lorsqu’on examine la marche de nos sociétés, lorsqu’on voit comment elles sont organisées, comment elles fonctionnent, comment les intérêts des uns et des autres sont agencés pour l’instauration de la paix et de l’harmonie, qu’on en ait une approbation ou une réprobation, une question cependant hante notre esprit.
Les choses pouvaient-elles être disposées autrement ?
Une telle interrogation en appelle une autre : De quelles manières étaient-elles à l’origine ?
Et nous voilà transporté au temps des époques «héroïques» où les premiers hommes, demi-sauvages, à peine différenciés des animaux inférieurs, se démenaient pour survivre en pourvoyant à leurs besoins grégaires: se nourrir, se loger, se vêtir et se procréer.
Entreprendre la réflexion sur l’histoire des clans, des tribus des royaumes et des chefferies au Burkina Faso, nous amène à nous projeter dans le passé de ces formations, afin de saisir les fondements de leurs institutions avant que celles-ci ne soient mises à dure épreuve par la domination coloniale. Une telle projection nous permet aussi de comprendre l’agencement actuel des institutions antiques et modernes, et de nous rendre compte dans quelle mesure elles répondent aux exigences des hommes qui acceptent de vivre en société pour leur plein épanouissement.
L’homme dont nous parlons ici, est l’homme burkinabè, l’homme qui a connu la colonisation, et qui aujourd’hui fort de sa libre détermination s’occupe d’édifier son futur, en ayant en mémoire, qu’il a des aïeux, des ancêtres qui savaient vivre en société avant, ce « matin de l’occident ».
Ce ne peut être une légère entreprise que de vouloir démêler ce qui relève des institutions antiques conservées en état de vestige dans l’état actuel de nos sociétés. Or, celles-ci ne peuvent être jugées dans leur fonctionnement qu’en ayant une juste compréhension de celui des sociétés antiques.
C’est en cela que, les traditions orales encore vivantes et les rares écrits des premiers explorateurs et administrateurs coloniaux se donnant la vocation d’ethnologues sont utiles dans cette remontée du passé qu’entreprennent nos historiens.
L’«hérodatage» des siècles précédents, c’est-à-dire la curiosité pour « les excentricités primitives de l'homme » (selon les termes de Claude Lévi-Strauss) et l'exotisme à bon marché, a attiré dans le champ de la recherche anthropologique bon nombre de missionnaires, de voyageurs en quête d’aventures, des administrateurs coloniaux. Ils se sont lancés dans la discipline sans véritablement s’être dotés, au préalable, de concepts adéquats pour l’interprétation des réalités «primitives» qu’ils avaient entrepris d’étudier et de porter à la connaissance du monde. Des concepts ont été utilisés indifféremment pour exprimer des réalités sociales différentes. Ce qui est pardonnable pour ces « ethnologues » des temps coloniaux, le devient moins pour les chercheurs africains quelque soit la discipline des sciences humaines.
D’où la nécessité d’une interrogation épistémologique sur un certain nombre de concepts qui ont été utilisés.
Il y a en effet une nécessité de mise à jour et de clarification sur ces notions et les orientations qu'elles impliquent.
Tous les auteurs, qui ont voulu réformer par leurs idées la société, ont entrepris d’exposer la situation dans laquelle se trouvaient les premiers hommes, c'est-à-dire dans l’état de nature, à supposer que cet état est réellement existé.
Dans cet état, les hommes étaient-ils en meilleure situation ? Si oui, pourquoi ont-ils cherché en à sortir pour entrer en société civile (politique) ? Par quels moyens ont-ils institué la société politique?
Comment se présentèrent les premières sociétés civiles et quelles sont les formes qu’elles revêtirent dans leur évolution ?
Pourquoi certaines sociétés se sont dotées d’un pouvoir politique autonome et d’autres non ? Comment l’articulation des institutions antiques et des institutions modernes répond-elle au vouloir vivre ensemble des peuples au sein d’une nation unitaire ?
1. De l’état de nature aux sociétés politiques
A part quelques auteurs, tels Grotius(Hugo de Groot dit: 1583-1645), l’existence de l’état de nature est une fiction théorique pour rendre compte de la situation de l’homme dans l’état de nature, avant l’institution de la société politique qui trouve son achèvement avec l’invention de l’État.
Les hypothèses que l’on pourrait avancer sur l’état de nature ne sont que de simples hypothèses (Rousseau).
Il ne peut s’agir que d’un « fait historique hypothétique construit à la lumière d'une réflexion féconde en suppositions[1] ».
Pour des auteurs comme Hobbes[2] , c’est une triste condition, que celui de l’homme de l’état de nature.
Dans cet état de guerre de tous contre tous (bellum omnium contra omnes) l’homme y est un loup pour l’homme (Homo homini lupus).
Par contre, des auteurs comme Locke et Rousseau, pense que l’état de nature n’est pas cet enfer de la misère et de la guerre, dominé par la peur de la mort.
Bien au contraire, l’état de nature est un état de parfaite liberté et un état d’égalité qui se définit par rapport à la loi de nature.
Mais cet état de liberté n’est nullement un état de licence. Il y règne la paix et la bienveillance réciproque, car les hommes dans cet état règlent leurs actions et disposent de leurs biens comme ils l’entendent, en se conformant à la loi naturelle qui est d’origine divine et qui s’accorde à la raison.
Pour Locke donc, l’état de nature n’est pas l’état de guerre. L’état de nature n’est pas non plus a-social : la sociabilité est naturelle aux hommes. Mais si l'état de nature n’est pas a-social, les sociétés civiles ou politiques ne sont pas des sociétés naturelles. L'état civil et l'état de nature ne sont pas vraiment antithétiques comme l'a cru Hobbes. L'un n'est pas supplanté par l'autre puisque l'état de nature est déjà un état social. Seulement, il contient la socialité de la même manière qu'il enveloppe la raison et la liberté, c’est-à-dire comme objectif qu’il s’est assigné. En l'état de nature se trouve inscrit le dessein moral de l'humanité. Ce qui fait défaut à l’état de nature ce sont les moyens d'en assurer avec certitude l'accomplissement.
De même, s’inscrivant à porte à faux contre Hobbes, Rousseau soutiendra que l’état de nature était celui où le soin de la conservation des hommes était le moins préjudiciable à celle d’autrui[3]. Il était même le « plus convenable au genre humain ».
De l’image que l’on se fait de l’homme de l’état de nature, la prétendue condition misérable, en proie aux besoins et soumis à une privation douloureuse, écrasé par la nature, Rousseau oppose une autre idée. L’homme qui est libre dont « le cœur est en paix, et le corps en santé », ne peut être cet être misérable.
Au contraire c’est la vie en société civile qui tend à devenir de plus en plus insupportable[4].
Même l’inégalité naturelle (la différence d’homme à homme) est moins ressentie dans l’état de nature qu’il ne l’est dans la société. A cette première inégalité vient s’adjoindre dans la société civile, l’inégalité d’institution[5].
Pour tout dire, c’est, selon Rousseau, en considération des mœurs de la plupart des peuples sauvages qui étaient parvenus à un degré d’évolution déjà loin du premier état de nature que plusieurs se sont hâtés de conclure que l’homme est naturellement cruel et qu’il a besoin de police pour l’adoucir.
Si non, en lui-même, l’état de nature était la « véritable jeunesse du monde[6]. »:
Quelque soit l’idée que l’on a pu se faire de l’homme dans l’état de nature, quelque chose a dû bien le pousser pour l’en sortir et rentrer en société.
Le concept même d'un pacte social apparaît précocement chez Platon dans le cadre d'une pensée plus large sur la fondation d'une cité idéale.
Pour Platon la société s’institue par un rassemblement en vue d’échanger les services. Cherchant les causes des origines de la Polis (la Cité- État), Platon[7] les avait trouvées dans la division du travail qui naît dans la diversité des besoins
Partant de son histoire des survivants d’un déluge vivant dans un état quasi naturel[8], Platon cherchera à savoir comment ces hommes ont quitté leur situation ?
Il apparut donc que pour vivre en communauté, il faille que chaque famille renonça à ses usages particuliers, pour se régler à ceux que la communauté aura choisis.
Pour Aristote, nulle besoin d’aller chercher loin, l’explication de la constitution de la société. Elle est un fait naturel, et elle a été formée au début pour satisfaire les seuls besoins vitaux et elle s’est maintenue pour assurer le mieux être de ses membres.
Aristote, nie l’existence de l’état de nature, qui serait un état « hors société ». La société est un fait de nature et l'homme est par nature un animal politique »[9]
Des quatre grands penseurs qui sont à l'origine de la pensée juridique, de la philosophie politique moderne, Grotius est le premier en date, avant Hobbes (1588-1679), Locke (1632-1704) et Rousseau (1712-1778), à utiliser le concept de contrat social dans le cadre d'une théorie élaborée.
Ces théories de philosophie politique, soutiendront contre le point de vue de Aristote, que la société politique n’est pas un fait naturel ; elle est le « fruit artificiel d’un pacte volontaire, d’un calcul intéressé ». Elles tiennent l’institution de la société politique dans une convention originaire entre les humains, par laquelle ceux-ci renoncent à une partie de leurs libertés, ou droits naturels, en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social.
Les raisons qui ont poussé les hommes à abandonner l’état de nature pour instituer la société sont diverses selon les auteurs.
La nature, soutient Hobbes, n’a pas mis en l’homme l’instinct de sociabilité. L’homme ne recherche des compagnons que par intérêt, par besoin. Cette recherche de l’intérêt est le fondement de la société. C’est la crainte de la mort violente par le fait d’autrui qui pousse l’homme à rechercher son semblable pour s’associer.
La société politique est le fruit artificiel d’un pacte volontaire, d’un calcul intéressé.
Pour Locke[10], la déficience de l’état de nature réside dans l’absence d’une règle positive fixant le bien et le mal, et sur cette base d’un pouvoir de contrainte susceptible d’imposer aux parties adverses une solution conforme à la raison. L’état de nature est privé de garantie, c’est pourquoi, les hommes instituent la société politique, aux mains de laquelle, chacun accepte de placer son droit naturel dont il s’est dépouillé[11].
Une autre raison de l’abandon de l’état de nature, réside selon Lockedans l’apparition de l’inégalité entre les hommes. Inégalité de situation suscitée par l’apparition de la monnaie qui permettra l’accumulation des richesses au-delà de ce qui est nécessaire pour l’entretien de la famille.
Pour Rousseau, les hommes ont vécu durant bien de siècles dans l’état de nature avant d’en arriver à éprouver le désir d’en sortir[12].
Dans un ouvrage antérieur au Contrat social, rousseau avait déjà eu à disserter, sur la source de l’inégalité parmi les hommes.
Dans l’état de nature la possession, écrivait-il, était le seul mode d’appropriation. Elle n’était que l’effet de la force ou le droit du premier occupant.
Cette possession doit être distinguée de la propriété qui s’institue dans l’état de société, et qui repose sur un titre positif.
La source de l’inégalité parmi les hommes, pour rousseau a résidé en ceci :
«Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le fondateur de la société civile.[13]»
Mais cette idée de propriété ne se forma pas du coup dans l’esprit humain. Pour parvenir à ce «dernier terme de l’état de nature», il a fallu passer par la gestation de beaucoup d’idées antérieures, qui se sont traduite par l’acquisition de connaissances, le développement de l’industrie, etc…
La plupart des peuples « sauvages » avaient atteint ce stade d’évolution, l’état de nature étant dépassé depuis longtemps. Et c’est en considérations des actions des hommes ayant quitté l’état de nature, que l’on est venu à conclure que l’homme est naturellement cruel et qu’il faut pour le rendre meilleure des lois.
La description que donne Hobbes de l’état de nature est celle de la société naissante, où la moralité commença à s’instituer.
Cette époque, qui se situe dans le « juste milieu » entre l’état primitif naturel, et la société civile, malgré les imperfections qui s’y attachent, a dû « être l’époque la plus heureuse et la plus durable ».
Par quelle artifice la société a–t-elle été instituée ?
C’est pour mettre un terme à cette crainte mutuelle qu’ils ont les uns vis-à-vis des autres, que les hommes ont établi selon Hobbes un pouvoir commun qui les tient tous en respect et dirige leurs actions en vue de l’avantage commun.
« La transmission mutuelle de droit est ce qu’on nomme contrat[14]»
D’où naissent deux différentes espèces de domination, l’une naturelle, comme la paternelleet despotique (…), et l’autre instituée et politique.[15]»
C’est contre une telle doctrine de justification de l’absolutisme, que des auteurs comme Locke, Montesquieu, Rousseau, etc., se sont érigés.
Locke, trouva nécessaire de découvrir, une autre origine du pouvoir politique et une autre manière de désigner et de connaître les personnes qui en sont dépositaires[16].
2. Les débuts de la société politique
2.1. A quoi ressemble cette première société civile ?
Que les débuts de la société politique soit la famille, c’est là un point de vue partagé par nombre d’auteurs, depuis l’antiquité jusqu’au siècle des lumières. L'idée de contrat social était déjà chez Platon (428-348 av. J.-C.), dans la République (Livre II, 358) et fut implicitement reprise au Moyen Age par Thomas d'AQUIN (1227-1274), Grotius, chez Bodin (1530-1596), Hobbes, Bossuet (1627-170), Locke (1632-1683), Rousseau(1712-1778).), etc..
Bodin considère la famille comme un fait nécessaire et comme l’élément primitif de la grande société. « La famille est, dit-il, une communauté naturelle » et : « La famille est la tige principale de laquelle étant sorties plusieurs branches, il fut nécessaire de bâtir maisons, puis hameaux et villages, etc. »,
Chez Locke ? La société conjugale, celle formée par un accord volontaire entre l’homme et la femme, a été la première société. Elle résulte d’une disposition naturelle comme chez les animaux ;
Cette première société a donné lieu à une autre « qui a été entre le père, la mère et les enfants ».
A ces deux sortes de sociétés s’en est jointe une troisième avec le temps, savoir celle des maîtres et des serviteurs.
Avec l’accroissement de la famille, le père devenait le prince de sa famille, et le gouverneur de ses enfants, dans leurs premiers âges.
Le gouvernement du père fut établi par un consentement exprès ou tacite des enfants, et qu’il continua ensuite sans interruption, par le même consentement.
Par la suite, les pères par un changement insensible devinrent les monarques politiques de leurs familles.
Tout en étant le commandement politique, les pères étaient les sacrificateurs dans leurs familles
A la mort ils étaient succédés par l’un de leurs enfants.
Ainsi furent jetés les fondements de royaumes héréditaires ou électifs, qui pouvaient être réglés par diverses constitutions, et par diverses lois, que le hasard, les circonstances favorisaient.
Les royaumes se constituèrent à partir du droit de succession, et par l’association de diverses familles, ou descendants de diverses familles, que le hasard, le voisinage, ou les affaires avaient réunis en sociétés.
Cette vision de la marche des sociétés, que nous venons de voir chez Locke, est partagée par rousseau. Ce dernierpenseaussique la première société est la famille conjugale. Il écrit en effet.
C’est le lieu de rappeler que Marx a pensé, avant les découvertes de Morgan, que l’ordre chronologique dans l’évolution partait de la famille (conjugale), à la famille élargie puis de celle-ci à la tribu[17]. Marx assimilait la «communauté tribale», issue directement de la nature, à la «horde» qu’il définissait par «la communauté de sang, de langue, de mœurs» [18].
En 1858, Marx et Engels ne spécifiaient pas encore les formes de parenté propres aux sociétés primitives.
Il faudra attendre 1861 pour que Bachofen établisse une distinction entre système matrilinéaire et système patrilinéaire.
En ce qui concerne les premières sociétés d’hommes, Marx y distinguait deux sortes de tribus: les tribus organisées selon le lignage (archaïques, primitives) et les tribus organisées selon les localités (appartenance à un même territoire). Le système de caste constituait la forme la plus rigide et extrême de l'organisation tribale fondée sur la parenté. Quant aux tribus selon le lignage, il les tenait pour antérieures aux tribus par localité, même si ces dernières ont partout supplanté les premières[19].
C’est Morgan, dans « Ancien society « (1877), qui établira une distinction entre la bande (horde), le clan et la tribu, présentés comme trois étapes de l'évolution des formes de parenté et de communauté aux stades de la « sauvagerie » et de la « barbarie ».
Avec la publication des travaux de Morgan, Engels rectifiera le point de vue, qu’il avait partagé avec Marx. Il écrit à cet effet :
« Des études ultérieures, poussées très à fond, sur les conditions primitives de l'homme ont, amené l'auteur à la conclusion que, originairement, ce n'est pas la famille qui s'est développée en tribu, mais inversement, que c'est la tribu qui est la forme primitive et naturelle du groupement humain fondé sur les liens de sang, de sorte que c'est seulement quand les liens qui unissent la tribu commencèrent à se relâcher que se développèrent, plus tard seulement, les nombreuses et diverses formes de la famille.»[20]
C’est ce qu’a soutenu Locke, à propos de la grande communauté, qui serait selon lui, une société naturelle qui se scindera pour donner naissance à des sociétés particulières fondées sur un contrat consensuel, adjoignant ainsi un aspect artificiel à leur enracinement dans la nature.
CheikAnta Diop[21], aura à nuancer quelque peu ces affirmations.
Selon lui, le clan et la tribu se sont formés en même temps et sont le développement de la famille appariée. Il écrit :
« le clan et la tribu sont nés simultanément, car du fait de l' exogamie de clan découlant du tabou de l'inceste, l'organisation clanique, pour être viable, suppose l'existence de clans voisins (organisés en villages ou non) qui, à force de contracter des mariages exogames finissent par devenir une tribu monolingue, une nationalité: il existe donc un lien dialectique entre le clan et la tribu. Le clan n'est qu'une famille consanguine élargie fondée exclusivement sur la parenté matrilinéaire ou patrilinéaire.
C'est pour éviter les mariages consanguins que l'endogamie clanique sera prohibée et que l'exogamie de clan est érigée en règle. La famille restreinte (hommes, femmes, enfants) a donc précédé le clan, qui ne fait que chercher à réglementer son développement le plus avantageux pour le groupe.»[22]
C.A. diop retient la promiscuité ou communisme primitif comme l'une des formes d'existence humaine antérieures au clan.
Il approfondit son analyse en essayant de dégager les traits spécifiques des clans africains matrilinéaires et des clans indo-aryens, patrilinéaires.
Mais comment est-on passé du clan à la tribu? Il répond :
« Le passage du clan à la tribu monolingue, c'est-à-dire à l'ethnie, à la nationalité, est une conséquence de l'exogamie de clan; des raisons matérielles et biologiques sur la nature desquelles les spécialistes discutent encore ont amené trèstôt l'humanité archaïque à pratiquer l'interdit de l'inceste, qui marque le point de départ de la civilisation. L'endogamie de clan étant prohibée, plusieurs clans voisins contractent des liens de mariage qui deviennent avec le temps des liens de parenté par alliance. Tous ces clans qui occupent le même territoire finissent par parler la même langue même si les idiomes étaient différents à l'origine. Le nombre de clans pouvant se grouper ainsi pour former une tribu plus ou moins puissante n'obéit à aucune règle et dépend tout au plus de l'étendue et de la fertilité des terres occupées par le groupe humain. Ainsi naquit la nationalité. L’individu portera le nom clanique surtout après la détribalisation.»[23]
2.2. Genèse de la constitution des clans en Afrique
Le mythe de la genèse des clans chez les Dagara nous servira de cas particulier en vue d’appréhender la généralité du fait clanique des sociétés négro-africaines précoloniales.
Il ressort de l’étude des relations de parenté chez les Dagara, qu’ils sont essentiellement des hommes de clans, plus précisément des hommes de lignages. L’organisation clanique, à tous ses différents niveaux (lignages majeurs, lignages mineurs et segments de lignages), joue au sein de leur société un rôle fondamental. Sur le modèle de la parenté biologique se construit un modèle de parenté sociale qui unit non seulement les vivants aux morts (l’ancêtre éponyme ou réel et ses descendants), mais aussi les vivants entre eux par l’intégration de personnes étrangères (captifs et femmes) au groupe de parenté.
L’institution de cette parenté sociale qui repose sur la reconnaissance de la filiation matrilinéaire et/ou de la filiation patrilinéaire prend, selon les sous-groupes ethniques, diverses modalités.
Chaque individu appartient à deux groupes de filiation (ainsi désignés, les groupes dont les membres se réclament d’un ancêtre commun) :
- un groupe de filiation patrilinéaire (patriclan) au sein duquel les membres sont apparentés entre eux par les hommes seulement;
- un groupe de filiation matrilinéaire (matriclan) au sein duquel les membres sont apparentés par les femmes seulement.
La parenté est transmise aussi bien par le père que par la mère. Une telle filiation est dite bilatérale.
Les deux lignes de filiation opèrent l’une vis-à-vis de l’autre de façon discriminatoire.
Et lorsque deux filiations unilatérales se superposent, chacune régissant à l’exclusion de l’autre, la transmission de certains droits, on parle alors de double filiation unilinéaire («double descent ») ou de filiation bilinéaire.
Fortes parle de « descendance complémentaire » à propos d’un tel système, reposant sur des groupes de filiation unilinéaire et au sein duquel, l’individu, tout en étant intégré à l’un des groupes, continue d’entretenir des relations particulières avec l’autre groupe.
C’est en fonction de cette filiation que se contractent les mariages de même que certains droits se transmettent toujours et exclusivement dans l’une ou l’autre ligne.
Ce n’est donc pas partout que disparut la filiation maternelle en faveur de celle paternelle.
Engels explique l’institution de la filiation paternelle par le fait que l’homme ayant conquis une position dominante au sein de la famille, avec l’accroissement de la richesse dû à la domestication du bétail, et voulant transmettre l’héritage à ses enfants, il lui fallait pour ce faire, renverser la filiation selon le droit maternel. Celle-ci fut renversée. Et ce fut selon Engels, l’une des révolutions la plus radicale qu’ait jamais connue l’humanité[24].
Cette révolution n’eût pas lieu partout. Car chez des peuples, la filiation maternelle continua de coexister au côté de la filiation maternelle conservant certains de ses droits, qui loin d’être des vestiges, ne sont pas des moindre comme l’héritage des biens meubles.
Ici, le renversement du droit maternel (chez les peuples à « à pleine double descendance ») ne fut pas une « grande défaite historique » du sexe féminin.
Mais est-ce dû au caractère essentiellement agricole de ces peuples, n’ayant pas connu très tôt la vie pastorale ?
Aussi faut-il distinguer deux types de familles patriarcale, l’une (exclusivement fondée sur le droit paternel) et l’autre (reposant sur les deux droits maternel et paternel) comme stades transitoires entre la famille de droit maternel, issue du mariage par groupe, et la famille conjugale du monde moderne.
La communauté familiale dans le second type continue d’être placée sur sous l'administration supérieure du chef de la maison («yir» chez les Dagara) qui la représente à l'extérieur.
Elle réunit plusieurs générations des descendants d'un même père qui habitent tous, ainsi que leurs femmes, dans une seule ferme, cultivent ensemble leurs champs, se nourrissent et s'habillent grâce aux provisions communes et possèdent en commun l'excédent de leurs produits.
Mais au sein du «yir», les descendants d’une même mère habitent ensemble dans une dépendance (familles conjugales), et constitue le noyau de la séparation future pour la fondation d’une nouvelle maison.
La ligne de descendance paternelle opère selon le principe centralisateur, alors que celle maternelle opère selon le principe segmentaire.
Mais cela ne saurait constituer la base de l’explication du fait que de telles sociétés soient des «sociétés contre l’Etat», des « sociétés contre l’accumulation», «antiéconomique».
Dans les sociétés à filiation bilatérale, l'importance relative de l’une des deux filiations donne lieu à certaines classifications[25].
C’est dire que l’existence de sociétés bilinéaires dans ses différentes modalités offre, des possibilités multiples de passage du matriarcat au patriarcat.
Dans son ouvrage consacré à ce sujet, J. Goody[26]donne une classification de ces sociétés, en prenant pour critère fondamental, la propriété et sa transmission. Il y donne une définition de quelques termes.
Ainsi :
-« unilineal descent group » : « is conceived as one which the actors themselves recognize by the use either of technical term of a specific name ».
-« double descent systems » : « systems in which a person is at once a member both of a patrilineal and matrilineal descent group».
Dans le tableau classificatoire des sociétés claniques africaines qu’il a établi, sont classés dans le groupe « à pleine double descendance » (« full double descent » ) les groupes suivants : les Daga-Lobr, les Lobi , Birifor, les Gã, les Tegesie, les Doghosie, les Jã (du Burkina Faso),les Yako et les Daka (de Côte d’Ivoire) , les Ibo ( du Nigeria ), les Chakale (du Ghana), les Nuba (Erythrée ), les Nyika et Digo (Afrique de l'Est), les Herero (Afrique du Sud ), les Ontong Java (Océanie ), etc.
Dans le groupe « patrilineal system with complementary uterine groups » (« système patrilinéaire se complétant par la descendance utérine »), il range : les Daga-Wule (Burkina Faso) , les Tallensi, Nankanse, Kusase, Builsa (du Ghana), les Wolof (Sénégal) et les populations d'Australie.
Il fait relever dans cette classification les Ashanti (du Ghana) et les Agni (de Côte d'Ivoire) du système matrilinéaire complété par la descendance agnatique, à l'inverse des Lobi» du Burkina Faso.
Selon le mythe de la création qui prévaut chez les Dagara, à l'origine de l'humanité (il est implicite dans ce groupe ethnique comme dans tous les groupes ethniques, qu’en dehors de leur monde, il n’y a pas d’humanité) il n'y avait pas d'exogamie lignagère. Les hommes vivaient en promiscuité et pratiquaient l'union libre entre frères et sœurs.
Les enfants mâles issus de ces unions prenaient le nom du père fondateur de la maison. Les filles, elles, prenaient le nom de leur mère.
Tout le monde vivait regroupé au sein de la même maisonnée.
C’est l’origine chez les Dagara de la filiation patrilinéaire («yiilu» ou «dowru») et de la filiation matrilinéaire (« belu»).
Avec l'accroissement des habitants de la maisonnée, la différenciation au sein d'une maison où tout le monde se trouve réuni par la descendance commune d’un ancêtre paternel éponyme se fit selon la lignée maternelle, «belu ».
Le dénominateur commun d’un tel groupement, c’est leur appartenance à la même maison («yir»): «yir bέn dem nebe » (« Ils sont de la même maison »).
La maison porte la marque de son fondateur pour son identification. La différenciation fondamentale au sein de la communauté s’établissait entre gens de maisons différentes.
Le «yiilu» est alors le principe discriminant des différents «yie» (sing.«yir») dont le fondateur est l’élément unificateur et la référence.
L'éclatement de la maison primitive donna naissance à de nouvelles maisons dont les noms sont ceux de leurs fondateurs ou expriment les circonstances ou les événements ayant marqué leur fondation.
Ces différents «yie » continuaient de se reconnaître à certaines pratiques socioculturelles héritées de l'ancêtre éponyme.
Ce fut l'origine des segmentations lignagères chez les Dagara.
En substance, une première cellule familiale se multiplie et constitue un groupe élargi dont les membres vivent en promiscuité. Ensuite elle se distingue en lignages patrilinéaires et matrilinéaires qui finissent par proscrire l'endogamie en leur sein.
Mais, l'éclatement de la maison primitive suite à la pression démographique et à la recherche d'un espace vital, pourrait être à la base de la différenciation en ligne agnatique. C’est pourquoi certains auteurs tiennent la filiation matrilinéaire pour la première institution distinctive des communautés primitives.
La mythologie chez les Daga-Lobr (comme chez les Lobi) établit cette préséance de la filiation matrilinéaire.
Certains faits militent en faveur de cette antériorité des groupes utérins:
- la terminologie de parenté de type crow;
- le nombre réduit et finit des matriclans, face au nombre élevé et infini des patriclans (la scissiparité des patriclans se poursuit toujours de nos jours).
Le mode de résidence a une importance dans la formation des groupes de filiation.
Et certains anthropologues font découler le mode de résidence du principe de filiation. Mais Robin Fox note que l’inverse pourrait être aussi vrai[27].
En se référant aux récits mythologiques de la constitution des clans patrilinéaires chez les Daga-Lobr, on est amené à penser que c’est le principe de filiation matrilinéaire qui a présidé à la formation des groupes de filiations patrilinéaires.
On peut légitimement supposer que les membres de la nouvelle unité résidentielle qui s’est séparée de la maison primitive, doivent être les enfants d’une même mère.
Encore de nos jours, on peut constater que les segmentations des unités résidentielles se font selon la ligne utérine. Ce sont les enfants d’une mère qui se séparent de la maison mère pour aller fonder une nouvelle.
Aussi la filiation matrilinéaire est-elle à l’origine de la création des nouveaux patriclans même si cette création est le fait des hommes.
Au sein d’une même unité résidentielle, il devient superflu de se différencier selon la descendance agnatique. Car tous les enfants masculins et féminins sont censés être issus du même ancêtre fondateur. Ils n’ont pour se différencier que la filiation utérine.
Les groupes de filiation matrilinéaire ont donc commencé par se former au sein d’une même unité résidentielle patrilinéaire, mais non reconnue comme telle, parce que la nécessité faisait défaut.
Par le changement de résidence, la nécessité de se distinguer en fonction des critères de descendance patrilinéaire s’est faite sentir. Chaque nouvelle résidence s’érigea en unité patrilinéaire.
L’endogamie au sein des différentes maisons (communautés familiales) issues de la maison primitive fut proscrite dans la mesure où il devient possible de procéder à des échanges extérieurs.
Avec ce commerce entre habitants de maisons différentes qui, hier encore, étaient tous des frères et des sœurs, les liens de parenté sociale se renforcèrent au sein des unités respectives ainsi constituées, au détriment des liens primitifs naturels.
« Lorsque pour des raisons (sauf dans la phase monarchique) le mariage cesse d’être matrilocal, l’homme reprend ses droits et la filiation devient ou tend à devenir patrilinéaire (mariage patrilocal), ou bilatérale dans le cas d’une évolution conduisant à la société élargie et complexe qu’est la monarchie[28]»
« De même, si le stade initial est le clan patriarcal indo-européen, au stade monarchique « final », le système s’amende et la filiation devient bilatérale avec toujours prédominance de la parenté paternelle.
Ainsi, quelle que soit la structure clanique de départ, au stade monarchique ou pseudo-monarchique (tribu évoluée) la parenté devient bilatérale, car les intérêts des hommes et le degré d’évolution des forces productives l’exigent ; mais la structure de parenté garde toujours à l’état fossile, même à ce stade, la structure primaire (matriarcale ou patriarcale) reconnaissable à maints détails pour l’observateur. [29]»
La propriété de la terre, le culte des ancêtres, l’autorité sociale et religieuse et même le respect de certains interdits et l’observance des totems relèvent u ressort du lignage.
L’organisation de la production, les échanges matrimoniaux sont du domaine du lignage.
Les membres d’un même lignage vivent sur un même territoire «tẽw » (village) et se connaissent tous. Ce qui n’est pas le cas des membres se réclamant d’un même «yiilu », dans son acception abstraite, en tant que clan. Dans ce cas, il ne désigne ni un groupe localisé, ni un groupe structuré, organisé. La parenté du «yiilu » n’est activée qu’au sein des différents «yie» (maisons ou groupes de maisons formant des villages) au sein desquels les lignages ou segments de lignages pérennisent l’idée d’une descendance («dowru ») commune.
Le «yiilu » peut être donc défini comme le principe discriminant ou le principe d’intégration opérant au niveau du clan, unifié autour d’interdits communs et partageant l’exogamie entre ses membres, mais dispersé sur toute l’étendue du territoire Dagara.
Telle est la réalité de l’organisation clanique de la société Dagara. Cette organisation clanique permet d’éclairer celle des autres formations claniques des sociétés africaines précoloniales.
Au même moment que se forment les clans, par l’institution de l’exogamie de clan, reposant elle-même sur la prohibition de l’inceste, se forme la tribu[30].
Et la tribu apparaît ainsi comme la réunion de plusieurs clans, parlant la même langue et vivant sur le même territoire (en tout cas, originellement)[31].
Si les clans sont unifiés sous l’autorité d’une instance supérieure unique, se présente alors un groupe de nature politique. Il s’agit là d’une ethnie, qui devint avec l’universalisme et l’action unificatrice du marché (naissance et extension du capitalisme), une nationalité.
Une entité ethnique avec une langue distincte constituant une nationalité en devenir ou accomplie.
La société dagara à l’instar de nombre de sociétés africaines, n’était pas arrivée à ce stade lorsque la colonisation lui imprima une autre évolution.
Le mode de filiation ne détermine pas les caractères essentiels des systèmes, qui sont des phénomènes structuraux. Il ne faut pas non plus lui accorder le premier rôle.
L'échange généralisé peut aussi bien faciliter l'intégration de groupes d'origines ethniques multiples (c’est le cas des Yeri – connu sous le nom de Yaarse chez les Moose – au sein des Dagara), que pousser au développement de différences au sein d'une société ethniquement homogène (c’est ce qui arriva avec la séparation des Birifor de ce que l’on pourrait appeler les « tribus» du rameau dagara ).
La bilatéralité est latente dans tout système d'échange généralisé.
Chez les Moose, on a un système de clans patrilinéaires régis par l'échange généralisé qui a facilité l'intégration hiérarchique du groupe de conquérants dagomba. Ces conquérants dagomba s'étant contentés de cristalliser, sous forme d'une hiérarchie sociale, un système d'interdits préexistants, on a abouti à la formation de castes.
Ce qui ne fait aucunement découler la valeur fonctionnelle de la notion de caste de son origine historique.
Les Dagara constituaient une «tribu», réunissant plusieurs clans vivant à l’origine sur un même territoire, parlant des idiomes, parfois différents, qui ont fini, à force de se mélanger, par parler la même langue.
Ces échanges, et plus particulièrement les liens de mariage, ont été rendus nécessaires du fait de la prohibition de l'endogamie intra-clanique; l’endogamie tribale s’est substituée à l’endogamie clanique, marquant ainsi une phase d’évolution dans l’organisation sociale.
Avec les liens de mariage, les clans se voient unis à l’intérieur de la «tribu» par des liens de parenté par alliance. C'est ainsi que le territoire dagara, en l’absence d’une organisation politique supra-territoriale, est le total des territoires occupés par les divers clans.
Cette étude nous permet d’affirmer que les sociétés claniques ne peuvent se penser sans les relations de parenté. Cependant il nous faut aller au-delà de cette étude de la parenté pour saisir l’être social de l’homme clanique.
Quel rôle jouent les relations de parenté dans de telles sociétés ?
3. L’artifice qui aboutit à l’institution du pouvoir politique
Mais qu'est-ce que le pouvoir ? Comment se constitue-t-il ? Par quelles voies s'inscrit-il dans les articulations de la société ? Quels sont ses modes d'institutionnalisation dans les structures juridico-politiques et les codes sociaux qui pérennisent la domination et reproduisent l'obéissance ? Quels sont ses modes de légitimation ?
Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre.
3.1. La souveraineté et la source de la puissance politique
Si chez Platon, la Cité-état s’édifie à partir de la division du travail, chez Aristote, elle n'est le résultat ni d'un déterminisme économico-social fondé sur la division du travail, ni d'une convention passée entre les hommes.
Partant du pouvoir paternel dans la famille, les divers absolutistes ont voulu justifier le pouvoir sans partage d'un seul: l'absolutisme monarchique.
Au nombre de ceux-ci, on peut citer Jean Bodin (1529/30-1596), Bossuet (1627-1704), HOBBES (1588-1679) et dans une certaine mesure les auteurs du Droit naturel (Grotius et ses continuateurs)
C’est contre une telle doctrine de justification de l’absolutisme, que des auteurs comme Locke (1632-1704), Montesquieu (1689-1755), Rousseau (1712-1778), etc., se sont érigés.
Ces auteurs, trouveront nécessaire de découvrir, une autre origine du pouvoir politique et une autre manière de désigner et de connaître les personnes qui en sont dépositaires.[32]
La famille constitue la première forme de société que les hommes naturels se sont donné, le gouvernement domestique (femme, enfants, serviteurs et esclaves) sous la direction du chef de famille. Elle ressemble à un petit état et en est cependant fort différent, aussi bien dans sa constitution, dans son pouvoir que dans sa fin[33].
Une telle famille, étaient différentes de ce que nous appelons aujourd’hui « sociétés politiques»[34]
La puissance paternelle diffère, en sa nature et en ses fondations, de la puissance politique.
Si l’autorité paternelle est naturelle, l’autorité souveraine, Hobbes lui-même l’a démontré, implique un artifice institutionnel. L’institution de la famille est un processus naturel, celle de la société politique implique un artifice institutionnel.
L’État n’est ni le prolongement de la famille ou de la tribu, ni une institution divine.
Pour Locke ce qui a donné naissance à une société politique n’est autre chose que le consentement.
L'autorité politique ne naît ni du droit divin, ni de la puissance paternelle; elle ne naît pas non plus de la force qui ne conduit qu'à la conquête ou àl'usurpation[35].
Tout comme Locke, Montesquieu s’érige contre la justification du gouvernement d’un seul en le faisant découler du pouvoir paternel.
Il soutient que la puissance politique repose sur l’union de plusieurs volontés[36].
Il définit l’état politique comme étant la réunion de toutes les forces particulières en une force générale qui peut être placée entre les mains d’un seul, ou entre les mains de plusieurs[37].
Cent ans après le Léviathan de Hobbes, cinquante ans après l’Essai sur le gouvernement civil de Locke, quatorze ans après l’Esprit des lois de Montesquieu, Rousseau intervient dans le débat contre l’absolutisme en publiant Le contrat social (1762).
Pour Rousseau, « La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille[38] »
Mais à la différence de Locke, rousseau considère que la famille est le « premier modèle des sociétés politiques[39] »: le chef étant à l’image du père et le peuple à l’image des enfants.
Il note cependant une différence entre la famille et la société politique, celle-là même qui a amené Locke à les distinguer, et qui réside dans le fait que dans la famille l’amour du père pour ses enfants justifie leur attachement alors que dans la société politique, cet amour est remplacé par le plaisir de commander
Rousseau trouve que l’idée de domination ne peut se concevoir dans l’état de nature. C’est une idée propre à la société qu’on ne saurait faire comprendre aux « sauvages »[40].
Il s’insurge, à son tour, contre les conceptions de Hobbes, en rejetant la thèse de l’origine des sociétés politiques par les conquêtes ou l’union des faibles[41].
L’établissement de la société politique ne vient point de la nature. Il ne naît pas non plus du droit du plus fort.
La servitude, contrairement à l’affirmation de La Boétie, ne saurait être volontaire, mais nécessaire.
Quant à l’autorité paternelle, dont plusieurs auteurs ont fait dériver le gouvernement absolue et toute la société, elle est différente du despotisme par sa douceur.
Entre la société naturelle (« état primitif ») à la société politique (société établie, instituée), Rousseau place une époque qui tient le juste milieu[42].
Cette époque est caractérisée par Rousseau comme étant l’ « état sauvage ».
C’est « l'époque la plus heureuse et la plus durable », l’« état est la véritable jeunesse du monde ». L’humanité n’aurait jamais dû quitter cet état.
Mais pourquoi donc l’a-t-elle quitté ?
Cela ne fut possible sans le « concours fortuits de plusieurs causes étrangères, qui pouvaient ne jamais naître ».
Par quelle « funeste hasard », par quel « malencontre » (La Boétie), l’homme quitta ce « paradis des animaux » (Hegel)?
Ce « hasard funeste » réside dans l'invention de l'agriculture et de la métallurgie qui firent naître le travail et les échanges et donc la propriété qui, comme l'affirme Rousseau fut la mère de toutes les misères dont l'homme sera victime au cours de son histoire et dont l'inégalité est la pire manifestation.
Ces deux arts étaient inconnus des sauvages d’Amérique. La pratique ne serait-ce qu’un de ces deux arts, conduit les peuples au stade de la barbarie.
Si l’Europe a été la plus policée des autres parties du monde, c’est qu’elle a abondamment pratiquée ces deux arts[43].
Mais si ces inventions sont du fait de l'homme ce dernier n'est pas réellement responsable de son malheur dans la mesure où il n'est pas véritablement l'auteur des conséquences qui résultèrent de ses inventions qui furent le fruit du plus grand des hasards.
C'est alors seulement qu'apparut « le plus horrible état de guerre » que Hobbes avait cru être l'état naturel de l'humanité alors qu'il est selon Rousseau un produit de la société et de l'histoire naissante.
Dans un tel état de guerre, où nul ne trouvait sa sûreté ni dans la pauvreté ni dans la richesse, le riche « conçut le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l’esprit humain » : c’est de donner à ceux qui l’attaquaient « des institutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui était contraire [44]»
Il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but. Ainsi fut proposé d’instituer un pouvoir suprême qui les gouverne tous selon des lois et qui les protèges contre des ennemis communs[45].
Tel est le cheminement qui conduit à l’établissement politique.
L’état politique demeura toujours imparfait, parce qu’il était l’ouvrage du hasard et « que mal commencé, le temps, en découvrant les défauts et suggérant des remèdes, ne put jamais réparer les vices de la constitution… »
Pour pallier à ces inconvénients, on en vint à confier à des particuliers le dépôt de l’autorité publique et des magistrats se virent confier la tâche de veiller à l’observation des délibérations du peuple[46].
Ce qui permet à Rousseau d’affirmer que la société a été faite avant que la puissance (l’autorité) publique ne soit établie. Et en se donnant des supérieurs, les hommes visaient à se défendre contre l’oppression, à protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies.
Les peuples ne se sont des chefs que pour préserver leur liberté et non pour être asservie[47].
3.2. L’invention de l’état
On retient chez les différents auteurs, qu’au sortir de l’état de nature, le problème fondamental entre les hommes c’est celui de l’entente entre eux pour se soumettre de gré ou de force à une institution (qu’il soit homme ou assemblée), à même de rendre la justice par des sanctions, de protéger ceux qui l’ont commis, et d’avoir recours pour s’acquitter de sa tâche d’une force publique.
Cette idée de la force publique n’a put se former du coup. On s’imagine que pour en arriver là, pour parvenir à ce «dernier terme » de séparation de l’état de nature et de la société politique », il a fallut passer par plusieurs stades intermédiaires.
Dans la famille patriarcale (ou le chef de famille était le monarque politique), la parenté qui procède du naturel tenait encore en laisse, le politique (le plaisir de commander).
On peut considérer que toutes les phases d’évolution de la famille à la société politique intégrale, fut le temps que pris le politique pour se dégager des étreintes de la parenté.
C’est dans la société politique pleinement constituée, que le politique devint une sphère autonome dégagée de toutes les entraves héritées de l’état de nature. Elle correspond à cette rupture fondamentale qu’a constituée l’invention de l’état.
Société et pouvoir niassent donc ensemble, dans le même mouvement. Il n’y a donc pas lieu de les opposer. Toutes les sociétés que nous connaissons, depuis les plus primitives jusqu’aux plus modernes, sont fondées sur un pouvoir, chargé de diriger les hommes associés et de protéger leurs intérêts communs. Mais ces relations de pouvoir n'ont pas toujours revêtu la forme de l'État. Ainsi, dans les sociétés archaïques, les relations de pouvoir sont assurées par des institutions traditionnelles : chefferies, conseils des anciens, royautés, etc.
La pratique de l'agriculture a forcé les hommes à la sédentarisation et avec elle les premières « guerres » sur les désaccords concernant le contrôle de la terre.
Les conditions naturelles ont fait que les terres ont été concentrées en peu de mains. Finalement, un petit groupe de gens a finit par contrôler les terres travaillées par de nombreuses personnes qui en dépendaient.
Les historiens s’accordent pour fixer l’invention de l’agriculture (ce « hasard funeste » de Rousseau qui a apporté la division au sein de la société) vers 9 000 avant J.C. (au néolithique), en Mésopotamie et dans la Vallée du Nil. Mais on estime que les royaumes et les empires qui se sont édifiés sur cette base, dans cette période n’ont pas connu l’existence de l’état, mais de « proto état », car étant trop primitifs, sans infrastructures et lois.
Il régnait dans ces civilisations palatales (organisées autour de grands palais), en l’absence de toute loi, pouvant limiter le pouvoir des monarques absolus, des « dieux-rois ».
Un des plus anciens code de lois, celui d'Hammurabi, date d'environ 1700 ans avant J.C.
Et c’est la genèse de cet état que nous nous proposons d’examiner. Il y a longtemps que les anthropologues ont renoncé à expliquer l’origine de ce mystère qu’est l’apparition de l’état.
Mais généralement, on fait partir le début de la formation de l’état en le faisant coïncider avec l’avènement de la civilisation gréco romaine. N’oublions pas que la philosophie et la démocratie trouve aussi leur patrie de naissance en Grèce, terre des « miracles ».
Les cités-états de la Grèce antique ont été les premières à établir des états dont les pouvoirs étaient clairement définis par la loi (même si celles ci étaient facilement modifiables).
Beaucoup d'institutions étatiques trouvent leur origine dans la Rome antique qui a hérité ses traditions de la Grèce et qui les a développées par la suite.
Cependant, la République romaine finit par devenir un Empire, qui créa le concept d'Empire Universel, soit l'idée que le monde devait être uni sous un seul état-Empire.
La chute de l'Empire Romain entraîna une régression des institutions. Les « barbares » qui déferlèrent sur l’Europe, détruisant tout sur leur passage, se souciaient peu d’édifier des institutions durables.
L'Europe fut la proie à toute sorte d’invasion : les musulmans à son flanc sud, à l'Est les invasions barbares, et enfin venant du Nord les invasions Vikings.
Du IX° au XI° siècle, par suite de l'insécurité due, particulièrement aux invasions normandes, que le régime féodal s'est instauré.
La féodalité est née par suite de la faillite de l'État en face des désordres et des misères de toutes sortes, qui s'étaient abattus sur l'Occident. Elle fut d'abord un expédient.
Craignant les ravages et les massacres, les petits propriétaires libre, en échange de la protection, pour leurs personnes et leurs terres, d'un homme riche et puissant qui devient leur seigneur ou suzerain et dont ils sont les hommes ou les vassaux, promettent de le servir et lui abandonnent la propriété théorique de leurs terres.
Le système féodal, dont l'apogée se situe au XIIe siècle, est, en effet, la négation de tout pouvoir centralisé.
Du point de vue politique, la féodalité abolit le principe de l'autorité en la morcelant.
La société féodale, fondée sur la négation de tout pouvoir étatique, est une sorte de société anarchique, caractère qu'on ne souligne pas suffisamment : car l'idée d'État, la notion d'un pouvoir public exerçant au nom de l'intérêt général une certaine contrainte sur les individus, lui est étrangère (Louis Halphen).
La déféodalisation, la lutte entre l’église et le pouvoir temporel, les guerres de croisades, la renaissance des monarchies, les guerres entre royaumes (guerre de cent ans entre la France et l’Angleterre), tout ceci créèrent les fondements de l’émergence de la nation en Europe.
A cela, il y a l’action de la bourgeoisie, classe émergeante, détenant le pouvoir économique, aspirait à jouer un rôle politique.
Dans le courant XVe siècle, les différents « pays » européens voient s'instaurer l'idée de nation, tantôt à la faveur d'une lutte contre un ennemi commun (cas de l’Espagne, lors de la Reconquista), tantôt sur la base d'une motivation religieuse.
De religieux, la conception du patriotisme, se laïcise. Le concept de nation est nettement dissocié de celui de monarchie.
En France, la formation territoriale de la nation a été en outre conditionnée, à partir du XIIIe siècle, par deux facteurs importants: la langue et l'institution du Parlement.
A l'époque de Philippe Auguste, on y parlait en France, dans les limites du domaine royal, le picard, normand, anglo-normand, poitevin, berrichon, auvergnat.
Dans le reste du territoire, bien d’autres langues sont usitées: le bourguignon, les langues occitanes, le béarnais, le basque, le gascon, les différents dialectes bretons, etc.
La puissance centralisatrice de la monarchie capétienne imposa dans un premier temps à tous ces « Français » de parler une seule et même langue, celle de l’Île-de-France. Le latin continuait d’être utilisé dans les écrits pour les affaires importantes.
L'ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539) qui consacrera le concept de « nation » est ordonnance par laquelle François 1er décide que l'emploi du français remplace celui du Latin dans la rédaction de tous les actes officiels, les actes notariés et d'état-civil (Les curés des paroisses sont invités à tenir le registre des baptêmes en langue française).
On voit donc que la langue a été le premier ciment de l'unité nationale en France.
Le sentiment national trouve encore son fondement dans le développement d'institutions monarchiques de plus en plus indépendantes du Roi lui même.
Dès le milieu du XVe siècle, on parle de « Res Publica », la chose publique.
Dans la formation territoriale et l'évolution du sentiment national, le Parlement de Paris[48] a joué, pour la France, un rôle de premier plan. D'abord, il est en quelque sorte « le palladium de la nationalité française» : on reconnaît en effet qu'un pays est français à ce que ses habitants peuvent porter une affaire au Parlement de Paris. Il exerce une puissance d'attraction centralisatrice.
Son importance se mesurait aussi par la nature des causes qu'il était appelé à connaître et le sens dans lequel il rendit ses arrêts ont aussi grandement contribué à la formation de la nation française.
Puisqu’il pouvait user de son « droit de remontrance », pour s'opposer aux ordonnances royales qu'il considère comme contraires à l'intérêt de la nation.
Par conséquent il ne suffit pas l'on y parle le «français» pour qu'un pays soit «français », il faut encore que ses habitants puissent porter un litige au Parlement de Paris.
Puis vint le temps de la Réforme.
La Réforme eut un impact considérable sur la structure politique Européenne : le débat n'était pas seulement religieux, il porta également sur les fondements d'institutions reposant sur le féodalisme. Ainsi, voit-on s’affronter partisans d'un état affilié au Pape contre ceux qui souhaitaient un état libre de l'influence papale et séculaire, capable de décider de sa propre politique, interne mais aussi religieuse.
Le principe du « cujus regio, ejus religio » (chaque région sa religion) finit par triompher lors de la paix de Westphalie (1648), en établissant l'idée de la non ingérence d'États dans la politique d'autres États.
L’État Moderne était né.
Près d'un siècle et demi après, l'état devint véritablement moderne à travers le processus de la Révolution Française.
L’extension des conquêtes napoléoniennes à toute l’Europe, finiront par saper les bases des institutions féodales et à favoriser l’émergence des états-nations.
Elles contribueront à intensifier le sentiment national que la Révolution avait fait naître en Europe
a) L’état selon son concept à travers certains auteurs
Le concept de l’« État » désigne la forme d’organisation du politique qui s’est développée à l’époque moderne (c.-à-d. à partir de la Renaissance) en Europe occidentale, et il s’est ensuite exporté dans le monde entier jusqu’à devenir aujourd’hui le mode d’organisation politique dominant.
L'État est la forme dominante du pouvoir politique mais elle n'est pas universelle.
Il n’a pas été de tout temps ; Il n’a pas existé partout ; toutes les sociétés ne se sont pas organisées en États:Pierre CLASTRES a montré qu'il peut exister des sociétés sans État, voire contre l'État : des sociétés où il n'y a ni hiérarchie des pouvoirs, ni autorité.
L’État n’est qu’une forme d’organisation politique de la société. Et il n’est pas partout le même.
Il y a eu la « Polis » grecque, l’ «Imperium » romain, le « Saint Empire Romain-Germanique… et il y a eu l’État moderne.
Aujourd’hui la question de savoir si les institutions politiques des sociétés négro-africaines sont le résultat d’une évolution interne propre et non de l’influence étrangère non nègre (notamment l’introduction de l’Islam par le biais des Arabes et des Berbères), appartient au passé.
L’originalité de ces institutions n’est plus en cause et ces en ces termes que J. Suret-Canal en avait rendu compte :
« C’est donc l’évolution propre, interne de la société africaine qui explique l’apparition d’États centralisés et organisés, et non l’influence des Arabes ou des Berbères. » (In Afrique Noire occidentale et centrale. Géographie-Civilisations- Histoire. Éditions sociales, Paris ; 1968, volume 1, p. 128).
Les royaumes africains, ceux qui eurent contact avec l’Islam comme ceux qui restèrent fermés à son influence ont présenté des traits communs que les recherches du Professeur Cheik Anta Diop origine à l’égypte antique de l’époque des Pharaons noirs.
L’état dont il est question dans la suite de l’exposé, c’est l’état moderne.
Le mot État n'appartient pas au vocabulaire politique du Moyen Age. Les doctrines de l'État moderne apparaissent dès le XVIe siècle.
Il faudra attendre l’époque de la renaissance, avec Machiavel (1469-1527) et la publication du Prince en 1513 pour que la philosophie politique fasse de l'État une entité politique générale.
La réflexion de Machiavel n'est pas une théorie de l'État mais porte sur les ressorts de l'art de gouverner, sur les moyens dont dispose le souverain pour consolider son pouvoir.
Le mot status[49], État en latin, est utilisé par Machiavel (1469-1527) dans « le Prince ». Il emploie aussi le terme dominio, qui évoque la domination, mais aussi le dominium, le domaine.
Mais c'est Jean Bodin (1530-1596) avec ses Six livres de la République (1576) qui introduira le concept moderne de souveraineté qui servira de pilier à l'analyse de l'État et constituera le critère de distinction des différentes formes de gouvernement décrites par l'auteur.
La souveraineté (et personne avant lui ne l’avait défini), est cette force de cohésion, d’union de la communauté politique, sans laquelle celle-ci se disloquerait. Elle cristallise cet échange de « commandement et obéissance » que la nature des choses impose à tout groupe social qui veut vivre.
Mais le grand théoricien de l'État moderne reste Thomas Hobbes, ce partisan de l'absolutisme monarchique.
Au tournant du XVIIe siècle, le terme État sera de plus en plus employé. Au fil des siècles, la notion d'État ne va cesser de s'enrichir.
« Il est peu de mots, écrit Durkheim, qui soient pris dans une acception aussi peu définie. Tantôt on entend par là la société politique tout entière ; tantôt une partie seulement de cette Société »
Dans les définitions courantes, la notion de l’Etat est constituée :
1) d'une agglomération humaine indépendante, une communauté nationale
2) d'un territoire commun,
3) d'une autorité suprême et un pouvoir politique reconnu par consentement: idée d'un pouvoir distinct de son titulaire: construire une sphère publique distincte de la sphère privée.
« l’homme a inventé l’État pour ne pas obéir à l’homme. L’idée de l’État procède du souci de détacher les rapports d’autorité à obéissance des relations personnelles de chef à sujet. Il suit de là que l’État est le support d’un pouvoir qui transcende la volonté individuelle des personnalités qui commandent[50].»
Trois grandes doctrines de l’état méritent d’être examinées : ce sont la conception Hégélienne, marxiste et wébérienne de l’état.
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Le concept d’État chez Hegel
La conception de Hegel (1770-1831) repose sur l’idée de la liberté, qui est la fin de l’histoire qui n’est elle-même que la réalisation progressive de l'Idée absolue.
L'histoire tend vers un but que Hegel appelle Idée ou encore Esprit absolu c'est-à-dire la conscience de soi par laquelle l'esprit est libre. Ce but de l'histoire, Hegel le nomme parfois Dieu.
L'histoire réelle n'est que l'expression de cet Esprit absolu.
L'État, pour Hegel, est la réalisation de l'Esprit, «la réalisation de l'idée morale et de l'esprit de moralité qui se révèle, en soi, comme la volonté substantielle la plus claire, une volonté qui se pense, qui se connaît et qui accomplit ce qu'elle pense et ce qu'elle connaît[51]»
« L’état est l’idée divine telle qu’elle existe sur terre [52]»
Les hommes agissant par passion, ne sont que des instruments inconscients de l’Esprit universel
C’est ce que Hegel appelle la ruse de la raison. La ruse de la raison s'opère par les grands hommes. Grâce à eux les peuples franchissent l'étape qui correspond à leur nature dans la marche progressive vers la liberté.
La finalité de l'histoire existe d'abord sans être connue mais la prise de conscience s'opère progressivement. De ce point de vue, la révolution française est un moment clef de l'histoire : pour la première fois, c'est volontairement que des hommes tentent de réaliser la liberté, la morale et la raison et ceci sans intervention de la ruse de la raison. L'histoire a pris conscience de sa finalité et la Révolution correspond à l'avènement de l'État moderne.
Le rôle de l’état pour Hegel c’est de mettre fin aux contradictions. Il a donc un rôle d'arbitre.
L'État a donc pour but de mettre fin aux conflits. Certes, il se peut qu'il ne réalise pas ce but mais cela signifie que l'histoire continue et que ce sens de l'État qu'ont formulé les révolutionnaires français reste à réaliser.
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Le concept d’État chez Marx et Engels
Marx n’a pas laissé une théorie élaborée de l’état. Tout au plus peut-on rencontrer dans ces œuvres des allusions, des indications et des esquisses, mais non une théorie générale de l'État.
Dans l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État publié, en 1884, après la mort de Marx, Engels, souligne que, pour éviter que « les classes aux intérêts économiques opposés ne se consument [...], elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de “l'ordre” ».
Le pouvoir d'État est ce qui répond à cette menace, ce qui maintient les luttes de classes dans des limites compatibles avec l'ordre établi.
Engels, voit dans la division de la société en classes sociales antagonistes la cause essentielle de l’« apparition mystérieuse» de l’état.
Dans un ouvrage antérieur, l’ « Anti-Dühring », Engels avait fait ressortir la possibilité d’apparition de l’État en raison d'un excès de pouvoir politique C’est l’origine socio-administrative de l’État[53].
Engel constatait dans la première partie de l’ouvrage que:
«partout, une fonction sociale est à la base de la domination politique; et que la domination politique n'a aussi subsisté à la longue que lorsqu'elle remplissait cette fonction sociale qui lui était confiée. »[54]
Cette possibilité de développement multilinéaire, sera abandonnée dans la seconde partie de l'ouvrage, ainsi que dans l’«Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État ».
Désormais, il ne sera question que d'un État et d'une domination de classe résultant exclusivement d'antagonismes fondés sur des conditions de la propriété privée.
Après avoir examiné trois formes principales (chez les Grecs, les Romains et les Germains) sous lesquelles l'état s'élève des ruines de l'organisation gentilice (clanique), Engels conclut :
«L'état n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'état et du pouvoir d'état. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l'état une nécessité.[55]»
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Le concept d’État chez Max Weber
Max WEBER (1864-1920) cherchant à faire pièce à Marx, donne à l’état, dans « Le Savant et le politique », la définition ci-dessous :
« l'État est une entreprise politique à caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès dans l'application de ses règlements le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné »,
Ou encore :
« Nous entendons par État toute entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès dans l’application des règlements le monopole de la violence physique légitime ».
L'État moderne, Il le définit à partir de deux traits caractéristiques: d'une part, la présence d'une administration, car il n'y a pas d'État sans bureaucratie. Ensuite, le monopole de la violence légitime. Les individus n'ont le droit de recourir à la violence que dans un seul cas : la légitime défense.
Weber ne s'en tient évidemment pas à ce concept général. Il distingue plusieurs types d'État selon la nature de la domination qui s'y exerce, étant bien entendu qu'à ses yeux ladite nature varie avec les « significations » que les membres du « groupement » étatique attachent à cette domination.
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Le concept d’État chez Cheik Anta Diop
Le modèle d’état qui s’est répandu en Afrique noire et surtout dans sa partie néo-soudanaise (avec les empires du Ghana, du Mali, du Songhaï) a été identifié par C. A. Diop comme étant des état s à mode de production africain (MPA). Ce modèle est apparut d’abord en égypte (depuis l’ancien Empire, à l’époque des pyramides). Les fonctions politiques et administratives de la société pharaonique ont survécu dans l'aire néo-soudanaise, sous leur appellation proprement égyptienne.
C’est la genèse d’une tel état que décrit Engels dans la première partie de son « Anti-Dühring ». C’est l’état dit à « mode de production asiatique» qu’on aurait du plutôt appelé à « mode de production africain » puisque l’égypte pharaonique est celui qui a présenté son modèle le plus achevé.
Pour C. A. Diop, c’est le cadre physique favorable de l’égypte (constituant une défense naturelle pour sa population) qui a permis la quasi-permanence du modèle égyptien.
Ce genre d’état procède de l’émergence d’une autorité supra-tribale ou nationale, acceptée de tous, et investie des pouvoirs nécessaires pour la conduite des travaux d’irrigation et de distribution de l’eau.
« une confédération de tribus se fond en une nation et crée un état, au fur et à mesure qu’elle s’organise pour relever un défi lancé par la nature…, pour vaincre un obstacle dont l’élimination nécessite un effort collectif dépassant les moyens d’un petit groupe. [56]»
On a affaire à « un état dont les contours épousent exactement ceux de la nation » (Diop : 1981, 166)
Les structures d’un tel État «sont moins aptes à conduire à des révolutions politiques ou sociales».
Ailleurs (états sabéens, états de la Mésopotamie, états égéens et de l’étrurie) la mutation a été facile : l’aristocratie militaire supplante progressivement les autres formations sociales ; « une morale guerrière voit le jour. »
Les africains faisaient une nette distinction entre l’état et son appareil, d’une part, et les serviteurs de l’état, le roi en particulier, d’autre part.
Ce type d’état, nous dit C. A. Diop, à la différence des Cité-état de l’antiquité gréco-romaine, est né d’un élan de survie de toute une collectivité encore indifférenciée. Il est antérieur à l’antagonisme de classes, et ne saurait en être la conséquence. L’antagonisme de classes suppose déjà un embryon de pouvoir étatique, qui force les individus à s’unir.
La conception marxiste qui veut que l’état surgisse là où les contradictions entre les classes sont devenues inconciliables, ne semble donc pas refléter aux yeux de C.A. Diop, la réalité.
On pourrait tout au moins admettre, dit-il, qu’il y a simultanéité entre ces deux phénomènes : l’apparition de l’état et l’exploitation de l’homme par l’homme. Ainsi on exclurait toute notion antériorité de l’un des phénomènes à l’autre[57].
Lorsque Marx avance l’idée selon laquelle, c’est dans les rapports économiques qu’il faut chercher le fondement caché de tout l'édifice social, et par conséquent de la forme politique que prend le rapport de souveraineté et de dépendance, donc du type de l’état, C.A. Diop propose de renverser, pour une fois le processus en faisant découler la forme des rapports économiques des rapports politiques[58].
b) La théorie de l’état rapportée aux sociétés précoloniales
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Les différents types de sociétés politiques précoloniales
L’organisation socio-économique des peuples vivant sur l’actuel territoire présentait une grande diversité
On a pris l’habitude de les distinguer en « sociétés sans état » (sociétés dites encore « acéphales », « anarchiques ») et « société à état».
Qui plus est, les « sociétés sans état », sous la plume de nombre d’auteurs rimaient avec « société sans politique ». Au sein de tels sociétés, on ne pouvait isoler une sphère politique distincte de la sphère du social. L’absence d’une institution à même de concentrer le politique, a conduit à parler de ces sociétés en termes d’« infra-social », de « non-société ».
L’idée selon laquelle l'État n'est après tout qu'une des possibilités de manifestation historique du politique est aujourd’hui communément admise. La politique, « se dit en multiples sens »(Clastres).,
L’orientation actuelle de la science anthropologique et qui inspire notre démarche, vise à montrer « que les sociétés humaines produisent toutes du politique et qu’elles sont toutes ouvertes aux vicissitudes de l’histoire. »[59]
Comme l’affirme Pierre Clastres[60], on ne peut pas penser le social sans le politique ou encore il n’y a pas de sociétés sans pouvoir.
C’est avec Meyer Fortes et Evans-Pritchard, qu’une orientation nouvelle sera imprimée à la science anthropologique.
Dans leur étude sur les « Systèmes politiques africain », ces deux auteurs ont inauguré une nouvelle approche en montrant la possibilité d’existence d’une « anarchie ordonnée » (celle des Nuer) et ont fait surgir le politique du sein des sociétés dites primitives.
Fortes et Evans-Pritchard démontrent que l'existence de l'État n'est pas une condition nécessaire à l'existence du politique et que l'existence d'États sans politique prouvait que l'État n'était pas non plus une condition suffisante de l’existence du politique.
Même en ayant admis l’existence du politique au sein de telles sociétés, les anthropologues ont persisté dans la caractérisation de ces sociétés comme des sociétés acéphales, parce qu’étant sans chefferies ou avec des chefferies sans pouvoir.
Ceux qui consentaient à parler d’institutions politiques au sein de ces sociétés, les tenaient pour inachevées.
En admettant l’existence d’un pouvoir politique embryonnaire, naissant, peu développé, on attribuait à ces peuples le projet de se donner un état.
Après cette première catégorisation, c’est autour des « sociétés à état ». Si l’absence d’État a été le critère du premier classement, l’excès d’État sera le critère du second.
Dans les grands royaumes africains, l’institution (l’État) s’y présente sous sa forme pervertie. Elle s’y pervertit en despotisme ou en tyrannie.
« Tout se passe donc, nous dit Clastres, comme si les sociétés primitives se trouvaient placées devant l’alternative: ou bien le défaut de l’institution et son horizon anarchique, ou bien l’excès de cette même institution et son destin despotique. »[61]
Le continent africain (surtout dans la période de formation des grands royaumes centralisés au nord de l’actuel territoire du Ghana qui a vu s’opposer « gens du pouvoir » et « gens de la terre ») a été le champ de diverses formes de transition du système lignager au système tributaire.
En examinant le processus de l’institution de l’État dans la société moaga, il ressort, à la différence des autres sociétés lignagères segmentaires que le caractère territorial a supplanté, ici, l’organisation clanique.
On peut établir un parallèle entre ce qui s’est passé chez les Moose et le schéma suivi par les Germains et les Francs de l’antiquité tels que nous les a décrits Engels dans L’origine de la famille et de la propriété privée et de l’État.
Tout comme les Germains, la mutation de l’organisation clanique (segmentaire) en organisation territoriale (centralisée) a créé la possibilité de l’apparition de l’État. Là, on a assisté à la transformation des organismes de la constitution clanique en organisme d’État. Les chefs militaires se transformèrent en rois.
Notons que dans l’antiquité classique, les tribus germaniques vivaient au stade de communautés villageoises tandis que les Celtes se structuraient en cité-États et les Romains connaissaient le mode de production esclavagiste.
A l'instar des Francs, le chef militaire suprême des Moose, élevé au rang de véritable prince comme premier acte, entreprit de transformer les territoires anciennement sous contrôle des « tẽg-biise » (« gens de la terre ») en domaine royal et de la donner en cadeau ou en « fief » aux gens de sa suite (les « na-kõombse», « gens du pouvoir »).
En fait il s’agit non de « fiefs » mais de « commandements territoriaux »[62]. Cette suite se composait à l'origine, de l’escorte militaire personnelle du chef suprême, des autres chefs subalternes de l'armée, des autochtones (des Yõyõose « moosisés »). Les membres de la classe dirigeante des ethnies autochtones furent érigés en «maîtres de la guerre» (les «tãsob dãmba»). Au lieu d’être «rejetés vers le monde de la terre», comme le dit Claudette Savonnet-Guyot [63], ils sont «invités à rester dans le monde du pouvoir».
«Ainsi fut créée, aux dépens du peuple, la base d'une noblesse nouvelle. »
Chez les Germains vainqueurs de l'Empire romain, écrit Engels:
« l'État naît directement de la conquête de vastes territoires étrangers que l'organisation gentilice n'offre aucun moyen de dominer. »[64]
Cette conquête n’est ni le résultat d’une violence exercée sur les autochtones, ni la suprématie d’une technique de production plus avancée. Les conquérants et les vaincus se situaient au même stade de développement économique. La société n'a donc pas subi, dans sa base économique, de profondes modifications.
Là se situe (comme dans la Marche, mais sur une base territoriale) la persistance de l'organisation lignagère.
C’est ainsi que se présentait la physionomie des sociétés précoloniales.
En ce qui l’utilisation du concept de « société sans état» , M. Izard et J. Kizerbo ont écrit :
« Les expressions « société sans État» ou « sociétés acéphales» sont à rejeter. Mais même l’expression «peuple à pouvoir non centralisé » est critiquable parce qu'elle est négative et parce qu’elle se réfère seulement au pouvoir politique. Sans compter qu'un peuple de ce type peut devenir à son tour centralisé (les Bambara), puis cesser de l'être[65]»
Ce qui nous permet de distinguer au Burkina Faso trois types de sociétés politiques correspondant à trois types de communautés rurales[66]
- Les communautés lignagères simples segmentaires :
Ce sont les communautés lignagères au sein desquelles les rapports de parenté et de consanguinité sont prépondérants et au sein desquelles, la propriété est collective (lignagère) et où les formes de travail collectif sont pratiquées sur une grande échelle. Ce type se rencontre dans le sud-ouest, chez les Lobi et les Dagara, etc. La commune (en tant qu’assemblée des chefs de lignages) tout comme chez les Germains de l’antiquité, « n'y existe qu'à l'occasion des réunions périodiques de ses membres. Elle n'y apparaît donc pas comme unité, mais comme association, accord des sujets autonomes que sont les propriétaires fonciers ». Elle n’y existe pas sous la forme d’une institution permanente.
- Les communautés lignagères-villageoises :
Ce type de communauté se rencontre chez les Bobo, les Bwa et d’autres groupes ethniques. Les liens entre les hommes au sein de telles communautés ne reposent pas sur les liens étroits de la parenté naturelle. Ce type représente le plus démocratique des communautés rurales. Le pouvoir « despotique » de l’aîné qui écrase les cadets se relâche. Au sein de telles sociétés, il s’institue une commune (l’assemblée des chefs de lignages) qui, en l’absence du « monopole légitime de la violence », n’est pas moins un organe politique au-dessus de la société, doté de pouvoirs de fonction. Une telle communauté est plus ouverte aux échanges avec l’extérieur.
On retrouve, selon que l’accent est mis sur l’aspect collectif ou l’aspect individuel de l’exploitation, chez les « Gurunse », les Gbin, les Senufo, des communautés qui se situent entre ces deux types (simple ou villageois).
- Les communautés lignagères tributaires (ou étatiques)
Cette communauté apparaît comme une forme de transition de la communauté basée sur la propriété commune du sol vers des formes multiples de propriété privée.
L’organisation sociale et économique des Moose et des aristocraties peulh relève de ce type. Bien que dotée d’un appareil étatique très élaboré, elle se trouve au même niveau de développement de l’infrastructure économique que les autres communautés.
Ici, la commune se trouve sous la forme de l'état. Cet état est un état lignager. Il apparaît à côté d'un politique lignager un politique tributaire. Chez les Moose par exemple, le « Moogho Naba » se trouve au point de jonction entre le principe segmentaire propre à la parenté lignagère et le principe centralisateur du système étatique.
Ces trois types de communautés que l’on retrouve dans notre pays et dans la plupart des pays africains constituent trois formes de communautés rurales.
Toutes ces communautés lignagères reposent sur un même niveau des forces productives (infrastructures identiques). C’est au niveau des organes du pouvoir (au niveau de la superstructure) qu’elles se différencient et dans la manière dont le surtravail des producteurs directs est extorqué.
Pour revenir àl’ethnocentrisme qui a longtemps marqué l’anthropologie sociale, il faut signaler, que certains chercheurs, en désirant prendre le contrepied des analyses qui en découlent, sont amenés à voir l’état dans toutes les formes d’organisation politique de nos sociétés.
Delafosse[67] est celui qui a initié cette orientation de l’affirmation de l’omniprésence de l’état en Afrique.
Il distingue une série d’états qui va de la simple famille isolée aux Empires :
· « état–famille » : autant de familles isolées, autant d’état;
· « état–clan » : territoire occupé par un clan ou lignage et dirigé par un patriarche) ;
· « état–village » ou l’ « état–tribu » : « quand des familles appartiennent à des clans différents, mais ayant une même origine ethnique et parlant le même dialecte » et dont la direction est attribuée à une sorte de conseil des anciens, composé, des patriarches des diverses familles et présidé par l’un d’eux.
· «État-canton» : c’est ce type qui domine dans l'Afrique noire.
« C'est en réalité un petit royaume, dont l'unité est d'ordre géographique plutôt qu'ethnique. Il est composé de plusieurs États-viIlages ou États-tribus, réunis sous l'autorité d’un chef supérieur qui est le patriarche de la plus ancienne famille étrangère ayant acquis par voie de conquête, l'exercice du pouvoir. »
· le « royaume » : Par des conquêtes ou soit par une politique d’alliance, le chef d'un canton parvient à étendre son autorité sur plusieurs cantons voisins, « tantôt de même souche ethnique que le sien propre, tantôt peuplés de tribus d'origines diverses et parlant des idiomes différents: l'unité politique ainsi élargie devient le « royaume » à proprement parler ».
C’est le lieu d’observer que les différents royaumes qui ont existé ça et là en Afrique précoloniale, était des sociétés structurés sur une homogénéité ethnique, d’une étendue restreinte, ayant à sa tête un roi.
· L’ «Empire » :
« soit à la suite d'une conquête, soit par le libre accord des parties, plusieurs royaumes peuvent constituer une sorte de fédération, dans laquelle chacun conserve son autonomie intérieure et son propre gouvernement, sous la suzeraineté du chef de la fédération. Il arrive aussi que des gouverneurs désignés par le chef suprême, sont substitués aux anciens rois. Dans l'un et l’autre cas, on a un «empire», tel que les anciens empires qui ont fleuri autrefois dans diverses régions de l'Afrique noire (Ghana jusqu'à la fin du XIe siècle, Mali du XIIIe au XVe, Gao au XVIe, Congo du XVe au XVIIIe, etc.) ou que ceux qui existent encore aujourd'hui au pays des Mossi et y fonctionnent depuis environ huit cents ans. »
En effet, « l'Empire est un État vaste et composé de plusieurs peuples», par opposition au royaume qui est moins étendu et reposant sur « l'unité de la nation dont il est formé ». Par nature, les Empires sont donc pluriethniques. Le pouvoir à l’intérieur d’un tel ensemble, tout en étant centralisateur, favorise l’autonomie des divers pouvoirs locaux fédérés, en préservant les langues, cultures et mœurs des peuples, pour que ceux-ci ne se sentent pas opprimés.
Cette conception de l’état qu’a Delafosse, prend le contre-pied de la définition de l’état moderne dont le fondement repose sur la nation.
En Europe, la formation de l’état, a été précédée par celle de la nation.
En Afrique le processus sera différent.
A l’époque précoloniale, les divers regroupements de population étaient loin d’être des nations.
Bien entendu, si on identifie sans peine la famille isolée, ou le clan à un état, c’est sans peine que l’on verra partout des nations dans le Burkina Faso précoloniale : « nation lobi », « nation bobo », « nation moaga », etc.
Une telle façon de procéder ravale la connaissance scientifique, à des trivialités où chacun peut user comme bon lui semble les concepts en leur attribuant des contenus de son propre cru.
Du fait de l’oppression coloniale, la question nationale se posa en Afrique avec les luttes de libérations des peuples opprimées et s’étendra par la suite à la question épineuse des minorités nationales.
La colonisation a été le choc qui a fait sortir les peuples de leur sommeil en leur insufflant un nouvel élan.
Les différents ethnies qui dans leur établissement cherchaient une certaine stabilité furent réuni par la force au sein d’un même territoire, obligé de servir ensemble l’état colonial.
Ils firent soudés par l’exploitation et l’oppression coloniales. Désormais une frange de l’histoire leur est commune. De là naît le sentiment national. D’avoir souffert ensemble et de vouloir s’en sortir ensemble en luttant contre un ennemi commun créa un lien qui fut un ciment : le sentiment national.
Et un tel processus de naissance du sentiment national nous fait penser à la définition que donne Ernest Renan (1823-1892), de la nation. écrivain français, élu en 1878 à l’Académie française et devenu un des grands maîtres à penser de la IIIe République française, Renan est l’un des premiers avoir donner (1882) une définition cohérente de la nation.
Au lieu d’être le résultat de circonstances uniques, la formation de la nation moderne est un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens.
Ni la race, ni la langue, ni l’affinité religieuse, ni la géographie, ni les intérêts économiques, ni les nécessités militaires, ne suffisent, selon Renan, à créer une nation. Pour lui, le fondement est essentiellement d’ordre intellectuel et affectif :
Qu'est-ce donc qu'une nation?
Il faut en plus de tous les éléments cités ci-dessus, une âme, un principe spirituel. Une définition dont le fondement est essentiellement d’ordre intellectuel et affectif :
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. [68]»
Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles sur lesquelles on fonde une idée nationale.
« Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques; voilà ce que l'on comprend malgré les diversités de race et de langue.[69] »
Avoir souffert ensemble ?
«oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.
Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie[70]»
On peut aussi rapprocher ces vues à celles Fustel de Coulanges qui dans un texte intitulé « L’Alsace est-elle allemande ou française ? », rédigé au lendemain de la guerre de 1870, écrit dans un passage :
« Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. [...] La patrie, c’est ce qu’on aime. »
Deux conceptions de la nationalité coexistèrent longtemps en Europe : d’une part, la théorie philosophique française, pour laquelle la nationalité est un contrat de libre volonté; d’autre part, la théorie historiciste allemande (avec notamment Fichte dans son cinquième Discours à la nation allemande), pour laquelle la nationalité est un être organique dont la manifestation essentielle est la langue primitive de ce peuple.
Ce ne sera véritablement qu’à la fin du XIXe siècle, que, confrontés à l’absence d’un cadre conceptuel susceptible d’expliquer le phénomène national, les marxistes ( Kaustky, Bauer, etc.) entreprirent, cinq ans après Renan, en 1887, dans une vie polémique, de fournir une réponse à la question «qu’est-ce qu’une nation» ?
L’opposition entre Bauer et Kautsky peut être résumé selon les termes de Lénine, d’affrontement entre deux conceptions de la nation, l’une «psychologico-culturelle» et l’autre d’«historico-économique».
La théorie de Kautsky considère la nation comme une catégorie historique. Elle est intimement liée à une époque précise du développement moderne : le capitalisme.
Lénine fera sienne la dernière conception et s’en inspirera pour mener sa politique contre l’impérialisme international et l’oppression des minorités nationales.
Ce sont les résultats de ces réflexions, que Staline synthétisera dans un ouvrage intitulé : « Le marxisme et la question nationale et coloniale».
Procédant comme Renan, il examinera d’abord ce que n‘est pas la nation avant de formuler une définition positive :
«La nation est une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture. »[71]
Une communauté d’hommes historiquement constituée ?
C’est cette dimension qui échappe à nombre de personne qui veulent faire usage, hors de propos, de la définition de Staline, en voyant des nations partout et en tout temps.
Quant à la nationalité, elle revêt un double sens. Dans l’usage courant, la nationalité d’une personne est sa citoyenneté, c’est-à-dire sa qualité de citoyen ou de sujet d’un État. Dans un sens historique, les nationalités sont les groupes ethniques qui composent la nation et qui se distinguent les uns des autres par certains traits culturels.
Et l’unité nationale implique la réunion en un seul État de tous les territoires occupés par la même ethnie (cas de certains pays de l’Europe) ou par diverses ethnies dans un territoire relevant de l’autorité d’un seul État, le but étant la constitution d’un État national unique (cas de la plupart des états africains).
De cette discussion épistémologique, on peut retenir que si le terme « ethnie » est applicable à des populations vivant dans des territoires distincts, se distinguant les uns des autres par la langue, le mode d’existence, l’organisation politique, depuis la création des États modernes et l’édification en cours des États-nations, il est nécessaire de lui préférer celui de nationalité.
Et la nationalité, nous la définirons comme étant un groupe ethnique qui prend place à côté d’autres groupes ethniques dans le projet collectif et volontaire d’édification d’une nation unitaire.
La tribu, en Afrique, est une notion qui appartient au passé, c’est la réalité ethnique d’avant la création des États modernes. La nationalité, elle, est une notion de l’avenir, instituée dans le présent. C’est la réalité ethnique dans le cadre des États-nations en cours d’édification.
La plupart de ces États, après avoir acquis leur souveraineté nationale, aspirent à l’édification d’une nation unitaire. Et dans le cadre d’une telle édification, l’utilisation de certains concepts peut et doit véhiculer une volonté politique, à la différence d’autres qui risquent de rappeler la nostalgie d’un passé qui s’évanouit difficilement.
Dans une telle perspective, les concepts de « tribu », de « société tribale », de « tribalisme » ou même d'« ethnicité » deviennent en effet, trop primitifs (rudimentaires) pour n’être plus qu’une notion marginale dans l’investigation de la nature des communautés africaines en perpétuelles recompositions.
C’est pourquoi, les sociétés qui, hier encore, étaient qualifiées de «sociétés tribales» mériteraient, aujourd’hui, qu’elles sont intégrées, à leur corps défendant pourrait-on dire, au sein d’états-nations, d’être appréhendées avec des termes plus «moderne» comme celui de «nation» ou de «nationalités» tenant compte de l’état-nation moderne en train de s’édifier.
En Afrique, la décolonisation a abouti à la multiplication d’États indépendants, les uns centrés sur une ethnie fortement constituée, les autres fondés sur des ensembles pluri-ethniques complexes, ou sur un continuum multi-ethnique. La délimitation des États, à la suite du découpage colonial du congrès de Berlin (1884-1885), a laissé de part et d’autre d’une même frontière un même groupe ethnique. A fin d’éviter des recompositions incessantes, l’OUA (Organisation de l’unité africaine) a proclamé intangibles les frontières héritées de la colonisation. Ce n’est pas pour autant que les conflits, résultant des revendications territoriales des États, ont été définitivement enrayés.
La plupart des États africains connaissent un pluralisme ethnique institutionnel. Et par une volonté politique affirmée, ils ont pour la plupart, à quelques exceptions près, refusé d’adopter une organisation fédérative, préférant œuvrer à fondre les différentes nationalités dans le même creuset de la nation unitaire.
Seul le Nigéria s’est doté d’une structure fédérale mais qui ne repose pas sur des bases ethniques.
Le Cameroun, qui avait adopté lors de l’acquisition de son indépendance, la structure fédérale, y a renoncé depuis (1972).
L'histoire de la formation de la nation burkinabè à l’instar de la plupart des nations africaines, peut donc se résumer en trois grandes périodes:
1º Une période où les peuplements se mettent en place avec les principes qui les animent; ce temps se prolonge presque jusqu'au XIXe siècle.
2º La seconde période est un temps de la conquête et de l’oppression coloniale. Les divers groupements ethniques se rapprochent, commencent à se connaître, pour vivre ensemble et résister à l’oppresseur commun.
3º Enfin la période du développement proprement dit, avec l’acquisition de l’indépendance politique, où l’état–nation prend se donne une physionomie propre, suit une direction déterminée, coordonne le mouvement d’ensemble vers un but clair et précis; c'est celle qui a commencé au milieu du XXe siècle et poursuit maintenant son cours.
Et d’ores et déjà, on peut envisager une quatrième période à venir, qui est déjà là : l’union africaine.
Dans la perspective de l’union africaine, les nations entrain de se consolider voient leurs cadres devenir déjà caduques.
C’est pourquoi il faut repenser les théories classiques sur la nation : « Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser»
C’est cette conviction qu’exprime le professeur Ki-Zerbo lorsqu’il écrit :
« Le cadre tribal est d’ailleurs inadéquat aussi pour une raison politique actuelle dans la mesure où l’on veut fonder des nations africaines ou une nation africaine nouvelle dont les membres n’aient pas une vision cacophonique ou antagoniste de leur passé. Il faut donc étudier les royaumes africains en leur laissant le cas échéant la dénomination ethnique, mais sans se faire des illusions sur le contenu de cette appellation et en les traitant avant tout comme des organismes politiques où l’influence clanique n’est qu’un facteur parmi d’autres, les facteurs économiques, psychologiques ou culturels étant souvent prépondérants. »[72]
Et avant lui Juluis Nyerere s’était exprimé en ces termes :
« Pour moi, le nationalisme africain est dépourvu de sens, est dangereux et anachronique, s'il n'est pas en même temps le Panafricanisme.» (Discours prononcé à Dar-es-Salam, le 5 août 1961.)
Face à la mondialisation, pendant que nous traînons le pas à aller l’unification africaine, nous risquerons, face à la volonté de puissance réaffirmée de l’Occident, pour parler dans les termes de Cheik Anta Diop, de n’être capable que d’opposer « qu’un « nationalisme » folklorique et bariolé tout au plus des couleurs vives de nos tissus indigènes »[73].
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[1] . Hegel : 1965, 187
[2] . Hobbes :1971, I, XIII, 124-125
[3] . rousseau : De l’inégalité parmi les hommes. In Le Contrat social. 1973, 330
[4] . Ibid., p.328
[5] . Ibid., pp.341-342
[6]. Ibid., p.356
[7] . Platon : Rép., II, 370d
[8] . Platon : Les Lois, 684 d.
[9] . Aristote :1970, pp.28-29
[10] . Locke : 1984, III, 19, 188-189
[11] . Ibid., VII, 87, 241
[12] .Rousseau :1973, p.328
[13]. Ibid., p.345
[14] . Ibid..
[15] . Hobbes : 1982, II, V, 146
[16] . Locke : 1984, I, 1, 172
[17].Karl Marx : 1972, 149-150
[18].« La communauté tribale, issue directement de la nature, ou si l’on veut la horde (communauté de sang, de langue, de mœurs, etc.) est la première condition de l’appropriation des conditions objectives d’existence et de l’activité reproductive et objective »(Karl Marx : 1974,8).
[19]. Karl Marx : 1974, 15.
[20]. F. Engels, en note, P.41 in Le capital, LI, TII, 1973b
[21]. Cheikh Anta Diop : 1981,
[22]. Ibid., pp.141-142
[23]. ibid., p.149
[24] . Engels in 1978, 241-242, 279
[25]. «des sociétés rigoureusement unilinéaires, à supposer qu’elles existent, ne peuvent être que l’exception, le bilinéarisme offrant au contraire, à travers des modalités très diverses, une formule d’une extrême généralité » (Claude Lévi-Strauss : 1967,121).
[26]. J. Goody : Comparative studies in Kinship, London Routledge and Kegan Paul; 1969, 110
[27]. R. Fox : 1967, 95
[28] . C.A. Diop : 1981, 152
[29] . Ibid., pp.152-153
[30]. « l'organisation clanique, pour être viable, suppose l' existence de clans voisins ( organisés en villages ou non) qui, à force de contracter des mariages exogames finissent par devenir une tribu monolingue, une nationalité » (Cheik Anta Diop : 1981, 142).
[31]. Pour Claude Lévi-Strauss, la tribu « se définit de façon purement linguistique; elle inclut toutes les hordes qui parlent approximativement le même dialecte, mais sa réalité ne va pas au-delà de la conscience d’une communauté de langage. Elle ne possède pas d’organisation politique, ni droits territoriaux. Si l’on peut parler, à la rigueur, d’un territoire tribal, c’est seulement dans la mesure où le territoire tribal est le total des territoires des hordes constituantes» ( Claude Lévi-Strauss : 1967,173).
La horde quant à elle « se compose d’un groupe d’hommes, frères entre eux, de leurs fils, de leurs filles et filles de leurs fils, non mariées. Leurs femmes et les femmes de leurs fils, bien que partageant l’existence de la horde, proviennent en réalité d’une horde voisine, en raison de l’exogamie, et elles continuent d’appartenir au groupe de leurs pères et frères. La horde peut ainsi se définir comme un groupe patrilinéaire, exploitant un certain territoire sur lequel elle possède des droits exclusifs. Il n’existe aucune unité politique se superposant à la horde » (Ibid.).
[32] . Locke : Traité du Gouvernement civil : 1984, I, 1, 172
[33] . Ibid., VII, 86, 240
[34]. locke : Ibid., 77, 234-235
[35] . Locke. 1984, § 175-196; 197, 198
[36]. montesquieu.1979, I, 3, 128
[37] - Ibid. : I, 3, 127-128
[38] . Rousseau : 1973, 61
[39] . Ibid., p.62
[40] . Ibid., P.342
[41] . Ibid.,p.368
[42] . « ...cette période du développement des facultés humaines, tenant un juste milieu entre l’indolence de l’´etat primitif et la pétulante activité de notre amour propre, dut être l’´epoque la plus heureuse, et la plus durable.»
[43] . Rousseau: 1973,357
[44] . Ibid., pp. 365
[45] . Ibid., pp.365-366
[46] . Ibid., pp.369-370
[47] . Ibid., pp. 370-371
[48] . Section judiciaire du Conseil du roi, qui s'en est détaché sous le règne de Saint Louis pour se fixer à Paris vers 1247-1250.
[49] . Pour Arendt (Essai sur la révolution, Gallimard, 1967, p.422) le mot état vient du latin status rei publicae qui signifie « forme de gouvernement ».
[50] . Burdeau in « L’état ». Encyclopædia Universalis 2003
[51] . Hegel. Philosophie du Droit, §257.
[52] . Hegel : 1987,41.
[53]. F. Engels : 1973, 207.
[54]. Ibid., p. 208.
[55] . Ibid., p. 344.
[56] . C.A. Diop : 1981, 167
[57] . Ibid., 243
[58] . Ibid., p. 261
[59] - Georges Balandier : 1967, 2
[60]- P. Clastres : 1974, 21
[61]- Ibid., p.25.
[62]- cette distinction, Claudette Savonnet-Guyot l’établit. Pour elle, « le lien féodal était un lien contractuel, une forme d’échange entre, d’une part, un bien matériel (un troupeau à l’origine, puis un domaine) et, d’autre part, un avantage immatériel (la fidélité) concrétisée par un certain nombre de prestations de services, surtout d’ordre militaire » (Claudette Savonnet-Guyot : 1986, 111).
Or, en attribuant le commandement territorial, le « mogh Naba », ne cédait pas un domaine foncier (qui restait propriété des autochtones), mais attribuait seulement une parcelle de son « Naam » sur une portion du territoire sous son autorité. «La grande différence donc avec les formes féodales qui sont imposées en Europe, c’est que la paysannerie se maintient et que la plus grande de l’espace nourricier lui appartient (domaine royal mis à part) » (Ibid.).
En outre dans le système médiéval, il y a morcellement de la souveraineté alors que le système moaga est centralisateur.
[63]- Claudette Savonnet-Guyot : 1986, 115
[64] - Engels : 1964,177
[65] . in IZARD, M. et J. KI –ZERBO, J., 1998. « du Niger à la Volta », dans Histoire générale de l’Afrique, t.5 : L’Afrique du XVIè au XVIIIè siècle (S/D B.A.OGOT),. éditions UNESCO ; 1999, pp. 393-437.
[66] . Cf. Naciele Sõme D. Valère. 1996
[67] . 1923, pp.87-91
[68] . Renan : 1997, « Qu’est-ce qu’une nation ? ».
[69] . Renan :1997, 32
[70] . Ibid..
[71] - Joseph Staline :1974, p.33.
[72]. Joseph Ki-Zerbo : 1972, 25-26
[73] . C.A.Diop:1974,45
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