Parcours

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Kwame Nkrumah. L'organisation décide de tout d'où la nécessité de partis politiques à dimension continentale pour la liberté et l'unité du continent africain

 

Kwame NKRUMAH. L'organisation décide de tout : d’où la nécessité de partis politiques à dimension continentale pour la liberté et l'unité du continent africain[1]

 

 

[Extrait de «  Kwame Nkrumah : L’Afrique doit s’unir ». Présence Africaine, 1994. Pp.71-77]

 

                                                                                                                                                      


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N.B.: J'invite le lecteur à se référer à l'article « Lettre de Loin » (publié dans le présent blog) et à la14e  thèse de la CDS (le paragraphe « Des États-Unis d’Afrique ), où nous défendions déjà l'idée de la nécessité d'un parti à dimension continentale.

    Quand ces derniers jours j'ai lu ou plus exactement relu l'ouvrage de Nkrumah (« L'Afrique doit s'unir »), moi qui croyais avoir défriché un terrain vierge, j'ai été agréablement surpris de savoir que j'avais un devancier en la personne de ce grand Africain qu'est Nkrumah.

     C'est le lieu de dire que la lecture d'un ouvrage c'est comme si on entrait dans une auberge espagnole. On y mange que ce qu'on y a apporté.

    J'ai sûrement lu (survolé) ces lignes de Nkrumah lorsque j'étais étudiant. Mais je n'y avais pas prêté une attention particulière. Mais en arrière-plan, mon cerveau avait dû l'enregistrée. C'est ce qui fait que je croyais avoir fait œuvre originale en avançant ces idées fort longtemps formulées par Nkrumah.

     Alors je me convaincs de nouveau et me réjouit de la pertinence de ces idées, de leur justesse et de la nécessité  impérieuse à les mettre en application.

    Lisez donc cet extrait, et n’attendez pas comme moi (tel Don Quichotte en va-t’en- guerre contre les moulins à vent), de réagir après que quarante années se soient écoulées, pour réaliser les (prendre conscience des) vérités qui y sont contenues.

     Mieux vaut tard que jamais dit le dicton ; mais mieux eût valu tôt que tard !


                                                                                                                                                       

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(...)

 

     Le facteur capital de la révolution politique est un parti    fort, bien organisé, ayant une base large, soudé par un programme qu'acceptent tous les membres, lesquels doivent également se soumettre à la discipline du parti. Le but de ce programme doit être « la liberté d'abord ». «Recherchez premièrement le royaume politique » est devenu le principal slogan du Convention People's Party, car, sans l'indépendance politique, aucun de nos projets de développement  social et économique ne pourrait être appliqué.

 […..  [ p.72]…]

    Ainsi, tout mouvement d'indépendance au sein d'un peuple colonisé contient deux éléments : l'exigence de la liberté politique et la révolte contre l'exploitation et la pauvreté. Il faut des chefs résolus pour que le désir, com­préhensible, d'un niveau de vie meilleur soit subordonné à l'obtention du but premier : l'abolition de la condition de colonie.

    Avant la seconde guerre mondiale, un certain nombre de démonstrations politiques et de grèves eurent lieu dans différentes régions de l'Afrique colonisée. Le plus souvent, on réclamait des réformes ; peu de gens envisageaient, à cette époque, la formation de partis politiques nationaux exigeant l'indépendance.

    Mais au cours des années quarante, bien des organisations nationalistes se fondèrent en Afrique. En 1944, par exemple, se fonda le National Council of Nigeria and the Cameroons, puis le Nyasaland National Congress[2]. Deux ans plus tard naissaient la Kenya African Union et le Rassem-blement Démocratique Africain, fédération des diverses organisa­tions qui s'étaient créées dans toutes les colonies françaises d'Afrique Occidentale et Équatoriale. Suivirent, en 1947, a formation du Northern Rhodesian African National Congress[3], et, dans notre pays, de l'United Gold Coast Convention, dont le but était « l'indépendance dans le plus bref délai s. Le 12 juin 1949, me séparant de cette U. G. C. C., je fondai le Convention People's Party, dont [p.73] le but déclaré était « l'indépendance tout de suite » (Self­Government Now).

    Les années cinquante virent naître l'Uganda National Congress[4] (1952), la Tanga-nyika African National Union   (1953) et l'African National Congress in Southern Rhode­  sia[5]. Il se forma aussi des organisations nationalistes au Congo. En Afrique portugaise se formèrent l'Uniao dos Populacaos de Angola et le Movemento Popular de Liber­-   tacao de Angola ; plus tard, en 1959, ils se fondirent pour former l'African Revolutionary Front Against Portuguese Colonialism. Cette organisation a des sympathisants au Mozambique et en Guinée portugaise.

    Je n'ai nommé que quelques-unes des nombreuses orga­nisations politiques africaines fondées pendant et après la seconde guerre mondiale. Il y en eut beaucoup d'autres. Leur structure, leur organisation et la qualité de leurs chefs ont varié, mais toutes avaient en commun la déter­mination de lutter pour l'abolition du gouvernement colo­nial et l'amélioration de la situation économique et sociale.

     A la veille de la seconde guerre mondiale, seuls le Libéria, l'Éthiopie et l'Égypte étaient indépendants. Mais fin 1959, donc vingt ans après, il y avait neuf états africains indépendants : l'Égypte, le Soudan, le Maroc, la Tunisie, la Lybie, le Libéria, l'Éthiopie, le Ghana et la Guinée. En 1960, la Nigéria, le Congo, le Togo ex-français, le Came­roun ex-français et la Somalie se rendirent indépendants. Ils furent suivis, en 1961, par la Sierra Leone, le Tanga­nyika, l'Ouganda et le Nyassaland. L'indépendance du Kénya[6], de la Rhodésie du Nord et de Zanzibar ne saurait tarder.

    Ce changement fondamental dans la situation africaine a été conquis par les luttes et les sacrifices des peuples africains eux-mêmes, et, maintenant, rien ne peut freiner la montée du nationalisme. Tant qu'un mètre carré de sol africain restera sous la domination étrangère, la bataille continuera.

    Peut-être le temps est-il venu d'avoir un parti et un [p.74] programme communs. Par exemple, au lieu du Convention People's Party, il pourrait y avoir un Ghana People's Party ; au Kénya, le parti progressiste pourrait être un Kenya People's Party ; en Guinée un Guinea People's Party, etc. Chaque parti aurait un objectif commun : la liberté et l'unité de l'Afrique.

    Ayant un but commun, les divers People's Parties coopé­reraient. Il faudrait certainement une organisation centrale et un État-Major très spécialisé. Si cette sorte de solidarité au niveau des partis pouvait être réalisée, elle renforcerait certainement la liberté et l'unité du continent africain.

   Dans les pays qui ne sont pas encore libres, les chefs de parti tireraient, d'une association étroite avec leurs homo­logues des pays indépendants, de la force et de l'inspiration. Bien qu'assaillis par les difficultés, ils auraient plus de con­fiance en eux-mêmes en se sentant membres d'une forte organisation continentale aux ressources immenses, qui pourrait les soutenir en cas de besoin. Dès sa fondation, le Convention People's Party déclara, dans sa constitution, qu'il « chercherait à proposer des relations fraternelles, des conseils et des soutiens, à tous les mouvements nationalistes, démocratiques et Socialistes, en Afrique et ailleurs, qui luttent pour l'indépendance et l'auto-détermination ».

    Parmi les pays indépendants, le parti commun serait un élément d'unification. De plus, si une politique intérieure commune pouvait être dégagée, elle rendrait d'immenses services pour un développement planifié de l'ensemble du continent africain, aux points de vue économique et social.

   Les différences de niveau économique et politique entre les divers pays africains constituent un problème capital. Certains sont pauvres en ressources naturelles, d'autres riches. Certains sont arrivés à l'indépendance relativement aisément, et sans coup férir ; d'autres se battent encore. La solution évidente est l'unité, qui permettra de prévoir un développement cohérent et approprié.

    Les pays assujettis se rendent indépendants de diverses façons. On avait promis à l'Inde la liberté par « une évolu­tion constante vers l'indépendance, sous forme de stades constitutionnels progressifs » ; en réalité, il lui fallut vingt-sept ans de troubles et de désobéissance passive [p.75] pour y parvenir. La Libye reçut son indépendance de l'O.N.U. en conséquence directe de la défaite de l'Italie dans la seconde guerre mondiale. La colonie portugaise de Goa fut libérée par l'Inde. Plusieurs pays du Moyen-Orient doivent leur qualité d'États souverains aux puis­sances occidentales qui démantelèrent l'Empire ottoman après la première guerre mondiale.

    En Afrique, la nature de la lutte pour la liberté a varié selon l'état de choses qu'il fallait combattre et l'opinion internationale du moment.

    En général, la lutte a été plus longue, et parfois violente, dans les territoires où il y a une colonie de résidents, par exemple au Kenya, pendant la révolte des Mau-Mau. Là où ce problème n'existe pas, comme en Afrique occidentale, elle a été dure, mais, dans l'ensemble, pacifique et constitu­tionnelle. J'ai déjà dit[7] comment le Ghana a conquis son indépendance.

    Quand je jette un regard en arrière et m'interroge sur les raisons de notre succès, je vois un facteur dominer tous les autres, à savoir la force d'un parti politique bien organisé, représentant la masse du peuple. Le Convention People's Party représentait le bas-peuple qui voulait la justice sociale et un meilleur niveau de vie. Il était en contact quotidien et réel avec ce peuple, contrairement à l'opposi­tion, qui était soutenue par des hommes de lois et membres d'autres professions conservatrices, l' « aristocratie » de la Côte-de-l'Or. Ils ne comprenaient pas le changement d'esprit qui s'était produit dans le peuple, la montée du nationalisme ni la révolte contre les difficultés économiques. Pensant que leurs prétentieuses affirmations suffiraient à leur gagner des adhérents, ils faisaient peu d'efforts pour entrer en contact avec les masses comme je l'avais fait, à mes débuts, en tant que secrétaire de l'U.G.C.C. et conti­nuai à le faire durant les années où je dirigeai le C.P.P. En fait, quand les chefs de l'U.G.C.C. découvrirent que j'avais lancé un mouvement de masse, ils reculèrent épou­vantés. C'était quelque chose qu'ils n'avaient pas prévu.

[p.76] Ils voulaient que j'édifie un mouvement dont les membres ne mettraient pas en question le droit, qu'ils s'étaient attri­bué eux-mêmes, de diriger la politique, mais constitue­raient néanmoins une base assez solide pour leur permettre de se présenter comme les champions de la nation dans l'effort vers un changement constitutionnel. C'est quand les chefs de l'U.G.C.C. exigèrent que je me débarrasse de la masse qui suivait et que j'avais attirée, que je me retirai du secrétariat et formai le C.P.P. Peu soucieux de des­cendre chez les masses, qu'ils accablaient de leur mépris, ils n'est pas surprenant qu'ils ne soient pas parvenus à se faire suivre d'elles et aient été constamment rejetés par elles.

Pendant les premières années du C.P.P., et souvent depuis, j'ai invité ses membres à suivre le conseil des Chi­nois :

Va au peuple,

Vis dans son sein,

Apprends de lui,

Aime-le,

Sers-le,

Prépare avec lui,

Commence par ce qu'il sait,

Construis sur ce qu'il a.

 

    C'est ce que je conseillerais aux membres de n'importe quel parti nationaliste et progressiste.

     La campagne du C.P.P. fut soutenue par la presse. Le jour même où je quittai l'U.G.C.C. parut le premier numéro de mon journal The Accra Evening News, dont la fière devise était : « Nous préférons l'indépendance dange­reuse à la servitude tranquille ». Par ce journal, j'atteignis un large cercle de lecteurs et leur inculquai qu'il fallait arriver à l'indépendance totale et organiser la victoire : « La force des masses organisées est invincible... Nous devons nous organiser comme cela n'a jamais été fait, car l'organisation décide de tout»[8].

    Toute la question de la publicité, de l'information sur [p.77] les buts et les succès de n'importe quel parti politique, est d'une importance capitale. Dans la lutte pour l'indépen­dance, là où, le gouvernement colonial contrôle les grandes voies de l'information et donne sa bénédiction à la presse réactionnaire, le mécanisme de propagande employé par le mouvement de libération est vital. Le rayon d'action de la presse est moindre, bien entendu, dans les régions où les illettrés sont nombreux ; mais même là, le peuple peut toujours être atteint par la parole ; or souvent l'article devient parole.

   En Afrique, une presse populaire anti-colonialiste se créa dans les années trente. En 1932, Habib Bourguiba fonda l'Action Tunisienne. Au Maroc, l'Action du Peuple, éditée par Mohammed Hassan el-Ouezzani, parut en août 1938 ; le comité éditeur comprenait le noyau des chefs du comité d'Action marocaine. En Côte-d'Ivoire, l'Éclaireur de la Côte-d'Ivoire naquit en 1935. Trois ans plus tard, en 1938, le West African Pilot du Dr Nnamdi Azikiwe prépara le terrain au mouvement nationaliste de la Nigéria.

   Ces journaux et d'autres ont incontestablement contribué à l'expansion du nationalisme africain. Ils ont insisté sur « la liberté d'abord » et sur la nécessité d'un progrès. Si nous voulons extirper le colonialisme de notre continent, il faut que chaque Africain prenne conscience de son rôle dans la lutte. La liberté implique un effort inlassable de la part de tous les intéressés. Il faut qu'on admette que le gouvernement de l'Afrique repose sur la vaste majorité de ses habitants.



[1] . Le titre donné à cet extrait est de moi [Valère D. Somé]

[2] . Interdit en 1958 et remplacé par le Malawi Congress Party.

[3] . En 1953, quand se forma la Central African Federation, ce parti se scinda, et d'autres apparurent, par exemple, en 1958, le United National Independance Party, dirigé par Kenneth Kaunda.

[4] . Interdit en 1958 et remplacé par le Malawi Congress Party.

[5] . Fondé pour la première fois en 1920. Il fut interdit en 1959, et le National Democratic Party fut fondé.

[6] . Elle a eu lieu en décembre 1963 (N.d.T.).

[7] . Dans mon autobiographie Ghana, Thomas and Sons, 1957.

[8] . N° du 14 janvier 1949.



16/11/2011
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