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6e thèse-C : Le mythe de l’idéalisation des vertus supposées ou réelles de nos communautés traditionnelles

6e thèse-C : Le mythe de l’idéalisation des vertus supposées ou réelles de nos communautés traditionnelles

 

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Que l’on tienne pour entraves ou facteurs de régénération sociale, les valeurs ancestrales en œuvre ou en voie de dépérissement au  sein des communautés rurales africaines, il nous est paru indispensable de procéder à l’inventaire de ces valeurs.

Faisant brièvement l’inventaire de nos valeurs traditionnelles, on retient très souvent comme positives les valeurs suivantes : l’égalitarisme, l’esprit d’entraide et de solidarité (la «réciprocité communautaire », diront certains), le collectivisme, communalisme ou communautarisme (selon les auteurs), l’organisation et la gestion démocratiques, le spiritualisme et enfin l’humanisme.

Dans ce réseau de vertus, l’Africain apparaît comme un homme qui se singularise par sa gaieté communicative,  son sens social et la chaleur dans sa relation avec l’autre, son optimisme et son insouciance débordante.

Pour transformer une société il faut l'avoir interprétée au préalable.

Pour nombre de nos réformateurs, cette interprétation n'a pas été nécessaire puisque les catégories élaborées sous d'autres cieux, étaient toutes prêtes à l’emploi parce que jugées aptes à rendre compte de nos réalités.

On se contentera donc de simples transpositions. Ainsi, l'organisation de la société moaga sera-t-elle identifiée au féodalisme européen et les sociétés au sein desquelles la commune rurale était encore vivace avant que les premiers colons ne foulent  le sol de notre pays, désignée sous l'appellation de «société sans état ».

Dans un pays où la question nationale est la question paysanne, pouvait-on se contenter de telles généralisations rapides ?

Jusqu’à une période récente, on peut affirmer qu’aucune force politique dans notre pays n’a entrepris cette tâche.

La nécessité d'une analyse beaucoup plus approfondie de la nature de nos structures traditionnelles a été ressentie dans le Discours d’orientation politique (DOP) du CNR. Dans ses analyses, le discours se contenta de nuancer les affirmations sur la société moaga en parlant de société de «type féodal ».

 Dire d'une société qu'elle est agricole arriérée, n'est pas le fin mot. Et à partir de telles généralités, on ne saurait élaborer et conduire à terme des réformes agraires à même d'ouvrir des perspectives d'évolution progressive de notre monde rural. L'absence de programme pertinent pour la transformation du monde rural a disqualifié toutes les organisations politiques qui avaient pour ambition de conduire le mouvement social dans une perspective de progrès.

C’est le Parti de la démocratie sociale unifié (PDSU) qui, pour la première fois dans ses textes fondamentaux[1], s’est acquitté de cette tâche théorique. La CDS en tant qu’héritière du PDSU fait sienne ses conclusions théoriques sur l’analyse des structures de nos communautés rurales.

 

§.1. Trois types de communautés  rurales

On peut distinguer au Burkina Faso comme en Afrique de façon générale trois types de communautés rurales :

A) les communautés lignagères simples au sein desquelles les rapports de parenté et de consanguinité sont prépondérants et au sein desquelles, la propriété est collective (lignagère) et où les formes de travail collectif sont pratiquées sur une grande échelle. Ce type se rencontre dans le sud-ouest, chez les Lobi et les Dagara, etc.. La maison commune, l’habitation collective constituent chez ces peuples une unité autonome de production. On n’est membre de telle unité  que par l’appartenance au lignage ou p     ar l’adoption. Leur structure est celle d’un arbre généa­logique. Les maisonnées se caractérisent par leur isolement et sont séparées les unes des autres par des distances considérables. La commune (en tant qu’assemblée des chefs de lignages) tout comme chez les Germains de l’antiquité, « n'y existe qu'à l'occasion des réunions pério­diques de ses membres. Elle n'y apparaît donc pas comme unité, mais comme association, accord des sujets autonomes que sont les propriétaires fonciers ».   Elle n’y existe pas sous la forme d’une institution permanente.

B) les communautés lignagères-villageoises que l’on rencontre chez les Bobo, les Bwa et d’autres peuples. Dans ce type de communauté, les rapports de consanguinité sont supplantés par des rapports de convivialité entre différents lignages. Les liens entre les hommes au sein de telles communautés ne reposent pas sur les liens étroits de la parenté naturelle. La maisonnée et la cour sont le domaine exclusif de la famille individuelle, pratiquant la culture parcellaire et l’ap­propriation privée de ses fruits. Ce qui donne un essor à l’individualité incompa­tible avec les structures des communautés de type précédent. Ce type représente le plus démocratique des communautés rura­les. Le pouvoir « despotique » de l’aîné qui écrase les cadets se relâche. Au sein des groupes lignagers, il n’y a plus de monopole des aînés sur les produits. Les cadets se donnent un droit de contrôle sur la gestion des aînés et interviennent dans les prises de décision engageant la communauté. L’isolement des cadets maintenus par la solidarité des aînés dans le cadre lignager simple, y est brisé. Les cadets se retrouvent dans des associations de classes d’âge et deviennent une force agissante face aux aînés. Au sein de telles sociétés, il s’institue une commune (l’assemblée des chefs de lignages) qui, en l’absence du « monopole légitime de la violence », n’est pas moins un organe politique au-dessus de la société, doté de pouvoirs de fonction. Une telle communauté  est plus ouverte aux échanges avec l’extérieur.

On retrouve, selon que l’accent est mis sur l’aspect collectif ou l’aspect individuel de l’exploitation, chez les « Gurunse », les Gbin,  les Senufo, des communautés qui se situent entre ces deux types (simple ou villageois).

C) La communauté lignagère tributaire (ou étatique) apparaît comme une forme de transition de la communauté basée sur la propriété commune du sol vers des formes multiples de propriété privée.

L’organisation sociale et économique des Moose repose sur une base économique et sociale lignagère avec une structure étatique très centralisée. Bien que dotée d’un appareil étatique très élaboré, elle se trouve au même niveau de développement de l’infrastructure économique que les autres communautés.

Au-dessus se tient l’État  qui est l’organisation de la classe dominante. Ici, la commune se trouve sous la forme de l'état.  Cet  état  est un  état  lignager. Il apparaît à côté d'un politique lignager un politique tributaire.

 Le Moogho Naba se trouve au point de jonction entre le principe segmentaire propre à la parenté lignagère et le principe centralisateur du système étatique. Il est le roi parce qu’il est l’« aîné» du groupe lignager dominant.

 

Ces trois communautés que l’on retrouve dans notre pays et dans la plupart des pays africains constituent trois formes de communautés rurales.

Toutes ces communautés lignagères reposent sur un même niveau des forces productives (infrastructures identiques). C’est au niveau des organes du pouvoir (au niveau de la superstructure) qu’elles se différencient et dans la manière dont le surtravail des producteurs directs est extorqué.

 

§.2. Les caractéristiques des communautés rurales traditionnelles

Les communautés rurales africaines d’aujourd’hui présentent des caractéristiques comparables à la description faite des communes rurales qui ont existé dans d’autres parties du monde. Elles présentent les mêmes caractéristiques que la dernière d’entre elles, la commune russe de 1880 qui n’a pas non plus survécu.

Ces communautés agricoles sont en  transition, évoluant de la société fondée sur la propriété commune à la société fondée sur la propriété privée. Les trois types de communautés rurales  que nous avons identifiées, comme trois formes de la communauté africaine, présentent beaucoup de caractéristiques communes :

 

A) Sur le plan ontologique : elles se caractérisent par une ontologie particulière de l’être, fondée sur la théorie de la force vitale dont découle un humanisme qui déborde du « supplément d’âme » et une religiosité fondée sur l’immortalité de l’âme et la théorie de la réincarnation.

 

B) Sur le plan économique, on peut retenir :

  • un dualisme existant entre propriété commune du sol et son exploitation parcellaire par des familles individuelles et l’appropriation privée des fruits. Ce dualisme constitue à la fois la force et la faiblesse de cette communauté.  Il peut être avec le temps (et il l’est déjà) une source de décomposition. La propriété personnelle de la richesse mobilière (bétail, pécule, etc.) ruine de plus en plus les bases de l’égalité économique et sociale qui y prévaut et y fait naître des conflits d’intérêts. Autrefois la propriété mobilière tendait à conférer un caractère collectif à la propriété immobilière, parce que ce n’était pas des individus, qui en jouissaient, mais la communauté entière (lignage, clan, tribu). Aujourd’hui, au contraire, elle sape les bases de la propriété immobilière communautaire, parce que ce sont des individus qui en jouissent et non la communauté entière. Cette action corrosive de la propriété mobilière sur la propriété immobilière est remarquable au sein de la communauté agricole, là où la nature même de l’activité exige la mise en œuvre simultanée de la propriété individuelle et de la propriété collective. Le producteur agricole a besoin en premier lieu des terres communales (pour une exploitation non à titre définitif, mais temporaire), et, en second lieu, d’engrais, de semences, de bêtes de trait et d’instrument de travail constituant sa propriété privée.  C’est à ce point d’intersection des deux types de propriété que l’influence dissolvante de l’individualisme atteint son degré maximum; et la victoire penche d’autant plus vite du côté de l’individualisme que la propriété mobilière prend plus d’importance dans la culture.
  • Les processus de production qui sont unitaires, non parcellisés se caractérisent par une division du travail élémentaire qui se fait essentiellement en fonction du sexe au sein d’une famille restreinte : un homme et une femme. Ils n'impliquent pas une division élaborée du travail, de sorte que le même groupe ou individu motivé peut mener à terme l'entière procédure, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à la fabrication du produit achevé.
  • L’homme y est le principal moyen de production : le travail collectif s’organise par l’institution d’un système d’entraide qui ne repose  aucunement sur la constitution de véritables associations de culture mais sur un système de réseaux de relations sociales dans lequel tout individu se voient inséré et qui permet de façon informelle aux producteurs de se porter mutuellement assistance. Un tel système se distingue des « sociétés de travail » par son caractère volontaire, l’absence de formalisme et de développements adventices. Il convient de faire observer que le recours au travail collectif ne résulte pas de la tendance dite naturelle au collectivisme, que l’on attribue aux communautés rurales, mais de la faiblesse du niveau technique de la production et de l’impuissance de l’individu à dominer tout seul les conditions de la production.
  • une  production essentiellement de valeurs d’usage : les objectifs de production sont limités. La production  segmentaire est essentiellement une production  de valeur d’usage, une production de consommation (destinée à satisfaire des besoins de base). Au sein du système, la recherche d’un surplus n’est pas posée comme une finalité de la production. Même dans le cas où il y a échange, l'échange et la production d'échange tendent, non à procurer un profit, mais à satisfaire les besoins immédiats de subsistance. Dans un tel système de production de consommation, le travail s'assigne un terme. On ne travaille pas jusqu’à la limite de ses capacités. On s’arrête de travailler dès que les besoins de subsistance sont assurés. Il ne sert à rien de produire plus qu’on n’en a besoin; le surplus ne pouvant être écoulé, ne servirait ni à améliorer la condition du travailleur, ni à être réinvesti dans un autre cycle de production. Il en résulte une limitation des capacités productives. Le refus de produire un surplus est à la base de certains comportements économiques paradoxaux, tels la prodigalité, la propension à consommer en une seule fois les stocks constitués et l’ignorance de cette obsession de la rareté propre aux économies de marché.
  • le contrôle du processus économique  repose sur le producteur. Le contrôle du processus économique ne repose pas sur l’appropriation des moyens de production mais sur celui du producteur et  le contrôle de la reproduction du producteur : la terre y étant relativement abondante, les outils rudimentaires et l’homme la source d’énergie principale, le droit sur les choses s’exerce à travers le droit sur les personnes.
  • l’existence attestée de l’exploitation de l’homme par l’homme : l’aîné du groupe lignager contrôle la richesse sans avoir fourni le surtravail correspondant. Cette richesse est essentiellement constituée par les prestations en travail et en produits des cadets. Le contrôle de la circulation des femmes peut donc être considéré comme le moyen par lequel les aînés du groupe lignager exploitent les cadets. Cela apparaît clairement dans l’exemple du système matrimonial en vigueur dans la société moaga traditionnelle, connu sous le nom de « pow-siure », où les chefs (« naaba ») recevaient de leurs sujets  des femmes qu’ils redistribuaient ultérieurement sous condition que les bénéficiaires  lui offrent en retour leurs filles aînées. S’il existe cependant des limites (destruction des biens de prestiges) que l’exploitation ne peut dépasser dans une société lignagère, cela ne prouve nullement que cette exploitation n’existe pas.

 

C) Sur le plan politique : les communautés africaines traditionnelles sont supposées démocratiques. Les vertus démocratiques de ces sociétés reposeraient essentiellement sur le principe de la «  gouvernance de la communauté par la communauté et pour la communauté ». De tels arguments ont servi à justifier, avant la Baule (juin 1990), les fondements, à bien d’égards antidémocratiques, de nombreux régimes africains post-indépendantistes. Chez certains dictateurs africains on trouve une exploitation singulière de ce qu’ils considèrent être la «  tradition démocratique »  africaine et qui se caractériserait par l’« unanimisme », l’absence d’antagonisme de classes, la convergence et l’harmonie des intérêts des différents groupes sociaux, etc. 

 

D) Sur le plan socioculturel, les traits suivants sont mis en avant :

  • l’égalitarisme et l’absence de classes et de luttes de classes : la plupart des penseurs qui ont voulu jeter les fondements d’un système politico-social autre, ont prétendu que la société africaine précoloniale ignorait l’exploitation de l’homme par l’homme et la lutte des classes. C’était une société égalitaire. Les analyses récentes produites par des théories anthropologiques établissent, en partant de l’existence d’une exploitation d’une partie des membres de la société par l’autre, que l’on pouvait bel et bien appliquer le concept de classes sociales aux communautés lignagères, surtout celles fortement hiérarchisées avec un pouvoir centralisé. Ces théories établissent que le mode de production lignager est le lieu de la première domination de classe et en même temps le lieu de la première libération des sociétés humaines par rapport à l'ordre naturel.
  • l’esprit de solidarité et  l’esprit communaliste : on a abondamment épilogué sur cet esprit de solidarité, si caractéristique des sociétés africaines et qui repose sur la responsabilité de chacun envers tous et de tous envers chacun. L’idéologie d’une telle société, Nkrumah  l’a baptisée du terme de « communalisme ». C’est une idéologie qui se traduit sur le plan social par des institutions comme le clan, qui souligne l’égalité initiale de tous et la responsabilité de tous pour un.

 

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[1] - Rapport du Secrétariat exécutif national au 2è Conseil Politique National (CPN) du Parti de la Démocratie Sociale Unifié (PDSU) du 2 au 3 Mars.



25/10/2011
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