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Senghor Rapport sur le statut des chefs coutumiers (juin 1954)

N° 8577

ASSEMBLÉE NATIONALE

DEUXIÈME LÉGISLATURE

SESSION DE 1954

 

 

 



Annexe au procès-verbal de la séance du 2 juin 1954.

 

RAPPORT


FAIT


AU NOM DE LA COMMISSION DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER ( ) SUR : LE PROJET DE LOI (n01345) relatif au statut des chefs coutumiers en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Cameroun et au Togo ; IL LES PROPOSITIONS DE LOI : 1° DE M. CONOMBO ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES (n° 481) relative au statut des chefs coutumiers en Afrique occidentale française, au Togo, au Cameroun et en Afrique équatoriale française ; 2° DE M. SALLER, sénateur, ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES (n° 89) relative au statut des chefs autochtones en Afrique occidentale française, au Togo, au Cameroun et en Afrique équatoriale française; 3° DE M. RAZAC, sénateur, ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES (n° 891) relative au statut des chefs coutumiers en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Cameroun et au Togo,

 

 

 

 

PAR M. SENGHOR,

Député.

 

 

 


 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

 

 

      C'est un paradoxe, au premier abord, que de légiférer sur le « statut des chefs coutumiers », car c'est fixer, par l'écrit, ce qui est, par nature, oral et vivant sinon mouvant. L'expression même de «statut des chefs coutumiers » renferme, diront d'aucuns, une contradiction interne.

 

     

   A la réflexion, ce n'est là qu'une apparence. La coutume dont il s'agit n'est pas la coutume civile, mais la coutume politique et administrative. En effet, aux termes de l'article 72 de la Constitution du 27 octobre 1946, « dans les territoires d'outre-mer, le pouvoir législatif appartient au Parlement en ce qui concerne la législation criminelle, le régime des libertés publiques et l'organisation politique et administrative ». Voilà qui est sans équivoque. Au demeurant, la coutume politique et administrative est diverse jusque dans l'intérieur d'un même territoire. Plus grave, elle a été partout fortement altérée par l'Administration française elle-même. Un bref historique du problème le montrera.

 

 

  La Cité négro-africaine

 

        La société politique négro-africaine, la Cité, est formée de cercles concentriques de plus en plus larges, qui s'étagent les uns sur les autres, imbriqués les uns dans les autres et formés sur le type de la famille. En général, plusieurs familles, qui parlent le même dialecte et qui se sentent une origine commune, forment une tribu. Plusieurs tribus, qui parlent la même langue et habitent le même pays, constituent un royaume ; enfin plusieurs royaumes peuvent entrer dans une confédération ou un empire.

 

       Mais qu'est-ce que la famille négro-africaine ? Ce n'est pas le ménage de type européen, composé seulement des parents et des enfants. C'est l'ensemble de toutes les personnes vivantes ou défuntes, qui se sentent un ancêtre commun. Celui-ci est le chaînon qui unit le côté de Dieu à celui des hommes : un «semblable-à-Dieu ». Il a reçu, de Dieu, une étincelle de force vitale et sa vocation est de l'accroître en flamme. C'est lui qui a obtenu, dans un pacte conclu avec le génie de la terre — le ciel et la terre sont, presque partout, les aînés de Dieu — une partie du sol pour ses descendants comme un bien commun inaliénable. Le chef de famille, le premier né des vivants, des existants, est, à son tour, le lien entre les morts et les vivants.

      Ainsi conçue, la famille est naturellement organisée en communauté, avec une division du travail et une hiérarchie fondée sur l'ordre de primogéniture. Mais le chef de famille, qui cumule, dans sa personne, l'autorité civile et religieuse, a plus d'autorité que de pouvoir. En réalité, la famille est dirigée par un conseil des anciens dont les décisions, fondées sur l'expérience, la tradition et les avis des morts, sont exécutées par le chef de famille.

 

 

     Le village — plus souvent, le hameau — et la tribu ou le clan ne sont que des familles élargies.

      L'Etat sous sa forme typiquement négro-africaine, le petit royaume, n'est qu'une famille encore plus étendue ; c'est une cité. Le roi est le descendant de conducteur-des-tribus. Même quand c'est un conquérant d'origine étrangère, comme chez les Sérères du Sénégal, bien vite il s'assimile et prend le rôle de médiateur entre Dieu et son peuple. Dans ce dernier cas, il abandonne souvent ses fonctions religieuses à la dynastie détrônée.

 

       Mais le pouvoir du roi en Afrique noire est plus apparent que réel, on ne le soulignera jamais assez. Celui-ci n'est que la personnification de son peuple, le symbole de la cité. Roi-lion ou Roi-taureau, Roi-soleil comme le Mogho-Naba ou Roi-lune comme souvent chez les peuples de la forêt, il représente le ciel ou la terre — parfois les deux — il traduit, par-delà la Cité, l'ordre de l'univers.

 

«Qu'il s'agisse du souverain mossi , nous dit le professeur Griaule, du chef de village mandingue ou de cette sorte de chef-prêtre suprême des Dogons, ignoré aujourd'hui, mais qui existe toujours, qu'il s'agisse des sultans du Cameroun septentrional, des petits souverains du Dahomey, tous, à quelque degré, incarnent non seulement une Société, large ou restreinte, mais encore l'ordre du monde entier. Visiblement ou secrètement, par des regalia exhibés en public — comme on le constate en Côte d'Ivoire — ou par des objets cachés dans l'ombre des demeures d'humbles chefs soudanais, par des prérogatives infimes et inaperçues, les chefferies de ces pays se prévalent toutes de ce principe que le pouvoir, quel qu'il soit, ne doit être qu'un moyen de parvenir à l'ordre intérieur, lequel contribue à l'ordre universel ».

 

 

     Mais ce pouvoir — c'est l'objet de mon propos — est collégial dans la mesure où il n'est pas simple autorité. Le roi ne peut rien décider sans l'avis conforme du conseil du trône, qui reproduit le conseil de famille et qui est un véritable Sénat. Ce Sénat est, en général, composé de hauts dignitaires qui représentent, chacun, soit une tribu, soit une caste ; et celle des captifs n'était pas toujours écartée par la coutume.

 

      Il y a loin, n'est-ce pas, de ce « roi constitutionnel » au tyran nègre des images d'Epinal. Et ceux qui, aujourd'hui, réclament, au nom de la tradition, des pouvoirs exorbitants pour les « chefs coutumiers » prouvent simplement, pour ne pas dire plus, qu'ils ignorent cette tradition. La coutume, en tout cas, était infiniment plus complexe qu'ils ne le disent.

 

 

 

La présence française et révolution de la coutume

 

      Si l'ignorance de la coutume politique, c'est-à-dire des institutions traditionnelles des pays ultramarins, est excusable, même chez les élus autochtones, on ne saurait en dire autant de l'ignorance du droit, sinon de « l'histoire coloniale » qu'ont révélée les débats de l'Assemblée de l'Union française.

 

       Plusieurs orateurs de Versailles se sont complus à citer tel traité de protectorat passé entre la France et un chef africain. Ils ont oublié seulement un détail, qui est l'essentiel, à savoir que le traité en question établissait un protectorat non pas de droit international, comme en Tunisie et au Maroc, mais de droit interne ; qu'en conséquence, le Gouvernement français pouvait légalement, ce qu'il n'a pas manqué de faire, intégrer le protectorat dans une « colonie ». Ce fait ne fut pas le seul résultat de la conquête ; il entrait dans un ensemble de modifications qui avaient pour objet d'organiser le gouvernement direct de la colonie, par des fonctionnaires français, au nom de la République. Ici, les empires et royaumes furent découpés en cantons, le roi, empereur ou sultan étant ravalé au rang de simple chef de province ou de chef supérieur quand ce n'était pas pis ; là, chez les peuples anarchiques où l'organisation ne dépassait pas le cadre des villages, ceux-ci furent groupés en cantons. Il y a, aujourd'hui, 3.930 cantons en Afrique noire française. C'est peu de dire que le canton est une création de l'Administration française. Plus important, dans de très nombreux cas, l'Administration transforma, parfois abolit la coutume qui présidait à la désignation des chefs autochtones. Celle-ci se faisait généralement, au sein de la famille régnante, par un collège de grands électeurs. On lui substitua la désignation directe par arrêté du Gouverneur. Dans les meilleurs cas, on procéda d'abord à une consultation, on élargit le collège en acceptant des candidats dont les seuls mérites étaient d'avoir été anciens combattants ou favoris du Gouverneur. C'est ainsi qu'on voit, aujourd'hui, d'anciens boys promus au rang de chefs de canton. Les exemples les plus typiques nous sont fournis par le Sénégal. Le collège électoral y comprend, sans doute, des chefs de village, mais une bonne partie des électeurs y est composée d'anciens combattants, voire de notables, dont des commerçants, qui souvent ne sont même pas de la même ethnie que la population. Et il n'est pas rare d'y trouver un chef de canton qui ne comprend pas la langue de ses administrés. Quant aux chefs de village, leur désignation est encore plus fantaisiste.

 

       Mais il y a un aspect du problème que l'Assemblée de l'Union française a passé également sous silence et qu'il ne nous est pas permis de négliger. Elle n'a regardé que du côté des chefs, oubliant qu'il n'y a pas de chefs sans sujets, plus exactement sans administrés. Car les anciens sujets sont devenus des citoyens français : beaucoup d'entre eux sont régis par le statut de droit civil français ou le seront demain. J'irai plus loin : s'agissant de ceux qui ont conservé leur statut personnel, le second alinéa de l'article 82 de la Constitution dispose que : « ce statut ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». La question se pose donc de savoir dans quelle mesure on peut imposer à des citoyens français un chef qu'ils n'auront pas librement choisi, si, du moins, ce chef n'est pas fonctionnaire.

 

     Telle est la situation actuelle. Nous la résumerons ainsi. Dans la mesure où elle existe encore, la coutume politique a profondément et naturellement évolué. Par le fait de la conquête, qui a substitué au protectorat de droit interne des débuts, le gouvernement direct légalisé par la Constitution. Par la pratique administrative qui l'a dégradée, en ravalant le chef au rang de fonctionnaire d'exécution. Il n'y a plus de chefs coutumiers à proprement parler, mais des chefs autochtones, à moitié fonctionnarisés. Telle est la réalité dont il nous faut partir si nous voulons réorganiser les chefferies sur des bases saines, c'est-à-dire légales et efficaces en même temps. C'est dans cet esprit que nous allons commenter les principaux articles du texte de la proposition de loi.

 

 

 

EXAMEN DES ARTICLES

 

      L'article premier délimite le champ d'application de la loi, qui est l'Afrique noire française — la Côte française des Somalis et les Comores exceptées. Il définit, en même temps, son objet. Pour les raisons exposées ci-dessus, votre Commission ne s'y réfère pas à la coutume, mais positivement aux collectivités autochtones et aux seules fonctions administratives des chefs placés à leur tête. Ces chefs vont du chef de village et du chef de quartier urbain au chef supérieur.

 

 

     L'article 2 précise le double caractère du chef autochtone, qui tient à la fois de la coutume locale et de la loi française. Car, en définitive, le chef autochtone, qui est traditionnellement le plus ancien, peut être comparé au maire. Il est, exceptis excipiendis, le maire du village, du canton ou de la province. Le troisième alinéa de cet article contient une disposition essentielle, qui est la limitation que la présence française et la loi constitutionnelle imposent à la coutume tant civile que politique.

 

     L'article 4 énumère les attributions du chef autochtone. Parmi celles-ci, les unes, c'est-à-dire les deux premières, sont de droit; les autres facultatives. Il convient, en effet, de faire preuve de réalisme en la matière. Seuls le chef du territoire et l'Assemblée territoriale, mieux informés des réalités locales, sauront déterminer exactement, suivant le degré d'évolution des populations et des chefs, quelles attributions doivent être conférées à ces derniers. Pour prendre un exemple concret, dans tel territoire où les mœurs sont restées patriarcales, le chef pourra présider le tribunal coutumier, tandis qu'ailleurs, où le chef est devenu le militant d'un parti politique, la séparation des pouvoirs s'imposera.

 

      L'article 6 est l'un des plus importants du texte. Il règle la désignation et la nomination du chef : désignation par la coutume, nomination par le chef du territoire.

     Cet article est l'un de ceux qui ont soulevé les discussions les plus passionnées. C'est, qu'une fois de plus, chacun n'a voulu voir la question que sous l'optique particulière de sa région ou de son territoire. Or, nous l'avons déjà constaté, la coutume est diverse, même là où elle n'a pas évolué. Il conviendra, ici encore, de laisser une grande latitude d'appréciation à l'Assemblée et au chef du territoire. A une double condition : que, d'une part, les candidats à la chefferie soient de la même langue, sinon de la même ethnie, que la majorité de la population intéressée et qu'ils appartiennent à une famille « ayant régné », comme on dit ; d'autre part, que l'administration, par une quelconque pression, ne fausse pas la désignation. Le rôle de l'administration doit se borner à contrôler la légitimité des candidatures. Celles-ci acceptées, le chef du territoire ne pourra refuser de ratifier la désignation qui a été faite régulièrement et sans fraudes.

 

Là où l'organisation ne dépassait pas le cadre des villages comme là où l'évolution des populations le permet, la désignation pourra donc se faire par élection parmi les candidats qui réunissent les conditions requises. Votre Commission a estimé que, dans ce cas, l'élection devait être sincère et exprimer, en même temps, la volonté de la population. Pour qu'il en soit ainsi, l'élection se fera dans les mêmes conditions que pour la désignation des députés, des conseillers territoriaux ou des conseillers municipaux, c'est-à-dire au scrutin secret et par tous les citoyens des deux sexes, âgés de 21 ans, inscrits sur la liste électorale et remplissant les conditions définies par l'article 4 de la loi n° 52-130 du 6 février 1952.

 

      Les articles 7 et 8 règlent les questions de la démission et de la retraite des chefs autochtones. Mais le mot de retraite ne peut être employé, s'agissant de non-fonctionnaires. La difficulté est de concilier le caractère sacré de la personne du chef qui, là où il subsiste, interdit démission ou retraite, et l'efficacité de l'administration indigène.

     Cette difficulté n'avait pas, comme on le croit parfois, échappé à la société négro-africaine qui, avant la présence française, avait recours, ça et là, soit au meurtre rituel du roi devenu impotent, soit à une élimination plus subtile, soit, d'une façon plus humaine, à la désignation d'un adjoint. C'est cette dernière solution, naturellement, que votre Commission a choisie.

 

      Les articles 9 à 11, qui forment le titre III, énumèrent les sanctions applicables aux chefs et en règlent les procédures d'application.

 

      Tout comme aux articles 7 et 8, votre Commission n'a pu se contenter de suivre tout simplement la coutume. Car, traditionnellement, il n'existait pas de sanctions contre les chefs en dehors de solutions, qui rituelles ou non, étaient toutes radicales.

 

     Les sanctions que vous propose la Commission sont donc inspirées du droit français. Cependant, elle n'a pas voulu, sur ce point, adopter toutes les propositions du Gouvernement qui lui ont paru, souvent, d'une sévérité excessive. Elle a entendu limiter, dans la mesure du possible, les abus de pouvoir que l'on constate encore dans certains territoires et qui sont inspirés par des raisons de politique et non d'administration. C'est pour cela qu'elle a refusé également de faire siens les amendements qui tendaient à la suppression du titre III, car cette suppression aurait permis à l'Administration, par simple arrêté, ou d'édicter les mêmes mesures ou pis, de soumettre les chefs à la discipline des fonctionnaires.

 

      Dans cet esprit votre Commission vous propose :

 

     1° A l'article 9, de supprimer la suspension totale ou partielle de l'indemnité annuelle prévue à l'article 12 ;

 

     2° A l'article 10, de fixer obligatoirement la composition du conseil de discipline et le nombre de ses membres ;

 

     3° Toujours à l'article 10, d'exclure, du conseil de discipline, l'inspecteur des affaires administratives ; pour cette raison qu'il n'est pas bon que la même autorité instruise et juge la même affaire ;

  

     4° A l'article 11, de ne pas donner au chef de circonscription administrative un pouvoir de suspension, le service des télécommunications lui permettant d'aviser immédiatement le chef du territoire.

 

     Les articles 12 à 14 forment le titre IV. Ils établissent la liste des rémunérations qui seront accordées aux chefs et les conditions dans lesquelles les taux en seront fixés. Ces rémunérations seront, les unes obligatoires, les autres facultatives et proportionnelles aux services effectivement rendus. La plus importante est, sans contredit, la première, l'indemnité annuelle. Que votre Commission l'ait dénommée « indemnité » et non « traitement » signifie qu'elle ne considère les chefs ni comme des fonctionnaires ni comme des salariés. Mais elle entend, comme dans le cas de certains élus, assimiler les chefs de canton, les chefs supérieurs ou leurs homologues à une certaine catégorie de fonctionnaires qui, dans son esprit, ne saurait être que le cadre supérieur. S'il est essentiel de ne pas faire, des chefs coutumiers des féodaux à qui tout serait permis — et la Constitution, comme la coutume s'y opposent, nous l'avons vu — il est non moins essentiel de leur donner la possibilité de vivre avec décence. C'est encore le meilleur moyen de les garder de la concussion, qui est leur grande tentation. Au demeurant, c'est la revendication essentielle des chefs coutumiers qui, dans leur majorité, ne s'opposent pas à la démocratisation de leurs fonctions.

 

     Cependant, au cours de l'examen de l'article 12, deux questions ont retenu plus particulièrement l'attention des commissaires et provoqué d'assez vives discussions.

 

     La première est celle de savoir quels chefs seront rémunérés ou plus exactement quels chefs ne le seront pas. L'avis de la Commission est que tous ceux à qui s’applique la loi — et seulement ceux-là — le soient. En conséquence, les chefs de quartier, seraient rémunérés dans les villes, mais non dans les villages. Il appartiendrait au chef du territoire et à l'Assemblée territoriale de ranger les localités du territoire dans l'une ou l'autre catégorie.

 

      La seconde question a été soulevée par une minorité assez importante de la Commission, qui s'est alarmée des répercussions éventuelles des dispositions du titre IV sur les budgets des territoires, singulièrement des allocations familiales. Les chefs coutumiers, soulignent-ils, sont dotés, en général, d'une nombreuse progéniture ; les allocations familiales jointes à leur indemnité annuelle, qui sera pratiquement doublée, risquent de provoquer un déficit non négligeable des budgets territoriaux.

 

    Il faut reconnaître qu'il y a là un problème, important. Il ne nous paraît pas insoluble dans l'état présent du texte législatif. Que l'on veuille seulement examiner celui-ci de plus près. Tout d'abord, la fixation des taux des diverses rémunérations est laissée à l'appréciation du chef de territoire et de l'assemblée territoriale. Si une exception est faite pour l'indemnité annuelle qui, dans le cas des chefs de canton, des chefs supérieurs ou de leurs homologues, est fixée par référence à une certaine catégorie de fonctionnaires, il n'en est pas de même des chefs de village et assimilés. S'agissant des allocations familiales, je ferai remarquer que l'assimilation n'est pas obligatoire si elle n'est pas interdite. La solution dépendra d'un examen objectif et complet des faits. Car il n'est pas sûr, à priori, que les chefs coutumiers soient dotés d'une nombreuse progéniture. Répondant à une question écrite de notre collègue M. Aujoulat, le Ministre de la France d'outre-mer établissait ainsi «le nombre moyen d'enfants des fonctionnaires autochtones qui ont perçu des prestations familiales pendant l'année 1952 » :

     A.O.F. : 3,2 ; A.E.F. : 2,5 ; Cameroun : 2,2 ; Togo: 3,4.

 

      Les articles 15 à 18 concernent diverses dispositions dont les plus importantes se trouvent à l'article 17.

    Celui-ci prévoit que les arrêtés d'application de la présente loi seront pris par le Chef du territoire sur avis de l'Assemblée territoriale et que ces arrêtés pourront varier suivant la coutume de la région intéressée. C'est le bon sens même. Encore une fois, dans une matière aussi délicate et diverse, nul n'est plus qualifié que l'Administration et l'Assemblée territoriale pour adapter la loi aux réalités locales.

 

      Cela n'empêchera pas le Ministre de la France d'outre-mer et les hauts-commissaires de la République d'adresser, aux autorités locales, des circulaires qui permettront, aux différents arrêtés d'application, de présenter un minimum d'harmonie.

 

 

CONCLUSION

 

     Tel quel, le texte que nous vous soumettons, nous en avons conscience, n'est pas parfait. Mais comment le serait-il quand il s'agit d'établir un équilibre, instable par définition, entre la Constitution et la coutume. Au surplus, la coutume dont il est question est une coutume en pleine évolution et qui doit évoluer. Il n'est pas difficile de prévoir le moment où les chefs autochtones ayant perdu tout caractère sacré, ne seront plus que des maires, comme ceux de France. Cette désacralisation a commencé de se produire dès avant la présence française. Il est de bonne politique de la constater, de la consacrer par des textes de lois et d'arrêtés. Je ne crois pas qu'il faille la hâter.

 

     C'est pour toutes ces raisons, Mesdames, Messieurs, que nous vous demandons de voter la proposition de loi que voici : …/



24/10/2011
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