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Les deux flèches dans le carquois du collectif

Les deux flèches dans le carquois du collectif

(article paru  in L'Observateur-Paalga, n° 5067 du 10 janvier 2000.

In « Le Pays », n° 2052 du 1à janvier 2000)

 


 

 

  En 1994 la revendication de mon parti, le PDSU, pour la Réconciliation Nationale, a été diversement perçue. Les esprits malveillants ont vu là la quête d'une compromission avec le pouvoir en place. Aujourd'hui toute la nation entière s'est rangée à cette idée de Réconciliation Nationale devenue une nécessité incontournable, même si le pouvoir tergiverse et biaise en instituant des Commissions « croupions », pour m'exprimer comme l'autre.

  Le peuple parle de Réconciliation Nationale, et Blaise Compaoré cherche à se Réconcilier avec lui-même, sinon comment comprendre la création de la Commission pour la Réconciliation sans la participation d'une des composantes protagonistes.

   Il est vrai que les termes dans lesquels elle se pose aujourd'hui sont différents quelque peu, et ce du fait de la modification du rapport des forces en présence. Le régime de la IVe République ne bénéficie plus de la puissance absolue de tout faire dans l'impunité comme il y a quatre ans. Ceux qui nous dirigent ont mis un bémol à leur arrogance et à leur morgue d'antan. Les partis d'opposition ont repris du poil de la bête.

  Le peuple debout et mobilisé derrière la plate-forme du Collectif des organisations de masse et de partis politiques a ébranlé les assises de la IVe République. Et l'avènement de la Ve République n'est plus une simple aspiration de notre peuple mais une question posée et à résoudre.

   Le Collectif dans sa composition et dans sa plate-forme a intégré deux volets : le volet « lutte contre l'impunité » et le volet « lutte pour la refondation des institutions républicaines » en vue de l'instauration d'une véritable vie démocratique.

  De part sa composition et sa nature, le Collectif s'est fixé des limites et a privilégié dans son action la lutte contre l'impunité sous toutes ses formes. C'est pourquoi jusqu'à présent il n'a pas fait sienne une des revendications essentielles du Groupe du 14 février, à savoir la démission de Blaise Compaoré.

  Les partis politiques dans un esprit de corps tout en luttant pour la réalisation de la plate-forme du Collectif, ne peuvent pour autant renoncer à la poursuite des objectifs qui leurs sont spécifiques. Autant il n'est pas dans l'intention partis politiques, contrairement aux allégations mensongères véhiculées par un certain syndicalisme, de chercher à inféoder les organisations de la société civile au sein du Collectif, autant  ces partis ne sauraient limiter volontairement leur marge de manœuvre  à celle que le Collectif, de par sa nature, s'est imposé.

  Si la conquête du pouvoir n'est pas l'objectif du Collectif, elle l'est pour les partis politiques.

  Aujourd'hui par une action soutenue, les partis politiques et les associations civiles se sont vus unies dans une même détermination. Cette solidarité agissante, doit être non seulement saluée (en dépit des multiples tentatives de semer la discorde au sein du Collectif) mais elle doit gagner  chaque jour plus de force et dynamisme.

   Ce sont là les deux flèches que le Collectif a dans son carquois.

   Aussi, tout en maintenant la pression pour l'aboutissement de la lutte contre l'impunité sous toutes ses formes, les partis politiques ne doivent pas oublier ce qui fonde leur existence, à savoir la conquête du pouvoir. Et dans cette quête ils devraient pouvoir compter sur le soutien actif des membres des différentes associations civiles appartenant au Collectif. En clair, en cas de compétition électorale, les membres de ces associations civiles, exerçant de leur droit de citoyenneté, devraient pouvoir censurer le parti-État au pouvoir, en plébiscitant les partis qui luttent au sein du Collectif aux côtés de leurs organisations respectives.

  Tout en aspirant à la victoire totale, dans les meilleurs délais et à moindre frais, les partis politiques ne sauraient ne pas envisager les insuccès, même momentanés dans leur lutte et savoir réajuster leurs tactiques.

  Au regard de toutes ces considérations, j'ose affirmer, en dépit des interprétations malveillantes que certains ne manqueront de faire de mes propos, que suite au message du Président Blaise Compaoré à l'occasion du 31 décembre, on ne saurait affirmer tout de go, qu'on ne devrait pas aller à des élections législatives si l'occasion se présentait.

  De même que nous nous sommes prononcés en son temps contre une adhésion au  gouvernement que Blaise Compaoré avait tendu comme appât à l'opposition, il ne sied pas que les partis politiques adoptent une attitude de refus systématique quant à une éventuelle participation à des consultations populaires. Cela ne saurait constituer un sujet de discorde. Elle sera d'ailleurs mal venue dans le présent. Au-delà, il y a là une bataille pour avoir avec soi l'opinion du plus grand nombre.

  Dans le cadre de la participation au gouvernement (constitué sur la base du programme pour lequel il a été « élu ») c'est Blaise Compaoré qui offrait gracieusement les strapontins sur lesquels les Ram Ouédraogo et autre Nayab Kaboré Congo se sont rués. Ce faisant, il a refermé la porte du dialogue qu'il avait lui-même entrouverte. Et depuis il ne cesse de s'embrouiller en créant une commission après l'autre.

   Mais s'agissant d'une participation éventuelle à des élections, c'est le peuple qui aura à mandater ses élus.

  Il faut avoir à l'esprit que c'est la lutte menée courageusement par le Collectif, qui a conduit Blaise Compaoré à examiner l'éventualité de la dissolution du parlement et l'organisation d'élections législatives.

  Que l'on se rappelle, n'eût été l'assassinat odieux de Norbert Zongo et le sentiment de révolte qu'il a suscité dans le cœur de nos compatriotes, les partis d'opposition toutes tendances confondues se trouvaient dans une posture, pour le moins, inconfortable, subissant la dictature intégrale du parti-État.

   Le boycott justifié (les conditions n'étant pas remplies) des présidentielles de 1998, qu'on le veuille ou non, a semé quelque peu un désarroi dans la conscience des électeurs et a porté un coup à l'audience des partis politiques de l'opposition.

   Certes, les concessions faites par le Président du Faso, dans son discours du 31 décembre sont loin de répondre à notre attente. Et il convient, au lieu de les rejeter systématiquement, de prendre ces reculades comme point d'appui pour obtenir la satisfaction des points qui nous paraissent essentiels.

   A défaut de pouvoir obtenir  d'un seul coup, tout de suite et maintenant, la fin du régime de l'impunité, il faut savoir y parvenir en jouant, tout comme le pouvoir essaye de le faire dès le début de la crise, de l'usure.

  Les concessions faites doivent être inscrites dans le cadre global d'un plan de sortie de crise, que l'on doit savoir réaménager pour répondre aux nécessités du moment.

  Parce qu'on ne saurait comprendre que des partis politiques se privent d'une tribune, pour exposer au peuple les raisons de leurs luttes et de leur différence d'avec le pouvoir en place.

  Les partis politiques ont eu raison de boycotter les présidentielles, parce que la CEI présidée par le pasteur Samuel Yaméogo, n'était pas indépendante et les conditions d'application du code électoral ne permettaient pas une élection juste et transparente.

  A cela, on pourra rétorquer : sont-elles aujourd'hui satisfaisantes ?

  Et la réponse est qu'il ne dépend que de nous, le rapport des forces s'étant modifié, de les parfaire par des exigences renouvelées.

  Partant du discours du 31 décembre du Président du Faso, il convient de  prendre le peuple en témoin et de soumettre notre participation éventuelle à des élections à  des conditionnalités.

   Il faut dire à Blaise Compaoré et à son régime que nous escomptons un renouvellement de toutes les institutions, y compris la Présidence : une refondation de la République.

  Il faut lui dire que pour qu'il y ait une élection juste et transparente, il faut que les dossiers pendants sur les crimes de sang qui dorment dans les tiroirs de nos juges trouvent un dénouement juste et équitable.

  S'agissant plus particulièrement des questions liées à la vie politique, on ne peut pas manquer de relever dans le fameux rapport déposé par la « Commission de concertation sur les réformes politiques », des insuffisances et des lacunes graves. Elle a eu la prétention de « penser et de vouloir » pour l'ensemble de la classe politique. Aujourd'hui, on demande à ce que chacun y apporte sa contribution. Il aurait fallu créer les conditions favorables à la participation de toute la classe politique.

  Néanmoins,  sans rentrer dans les détails, on peut retenir que:

  • la Commission fait la partie belle à Blaise Compaoré, qui ne peut donc que se précipiter pour donner son aval au Rapport. Le peuple Burkinabe a attendu cet empressement en ce qui concerne le Rapport du « Collège de Sage ». La Commission malgré les analyses qui ont été publiées et qui établissent clairement que la révision de l'article 37 est anticonstitutionnelle, soutien le contraire.  C'est pourquoi proposant la limitation du mandat présidentiel à deux  mandats consécutifs, elle prend soin de mentionner que la date d'entrée en vigueur de cette limitation coïncide avec la fin du présent septennat de Blaise Compaoré. On ne peut s'empêcher de dire que « trop c'est trop ».  Blaise Compaoré a déjà à son actif 13 ans de pouvoir effectif. Pour le présent septennat il lui reste 6 ans. S'il le termine, cela lui fera 19 ans. La Commission lui permet de briguer deux autres mandats. Ce qui fera 10 ou 14 autres années selon le cas de figure qui sera adopté. Au total, Blaise Compaoré espère rester 29 ou 33 ans au pouvoir. Non ! C'est vraiment trop pour un seul individu. On ne veut pas d'un Mobutu au Burkina Faso. Le pays regorge d'hommes à même de le diriger et mieux. A défaut d'obtenir sa démission, on pourra concéder qu'il termine son mandat actuel et qu'il se retire définitivement de la scène politique pour aller cultiver tranquillement son jardin à Ziniaré. Tout le monde en aura pour son compte.
  • Le Rapport semble avoir pris en compte la majeure partie des revendications de l'opposition. Mais il y a des points essentiels qui ont été volontairement ignorés. Au nombre de ceux-là il y a: la dépolitisation de l'Administration, de la chefferie traditionnelle, des confessions religieuses ; l'exigence de l'institution du bulletin unique, le financement équitable et permanent des partis politiques, la délimitation claire des circonscriptions administratives, etc.

  Il y a aussi des questions intéressant le nombre des institutions d'État et la pertinence de leur existence ( CES, 2è Chambre, etc.).

  Mettant ces exigences en avant, et prenant le peuple à témoin, les partis politiques se donneront le bon droit en refusant de participer à des élections éventuelles, tant qu'elles ne seront pas satisfaites pour l'essentiel.

  Nous avons beaucoup marché depuis le 13 décembre 1998 et nous continuons de marcher. Nos semelles sont usées. Les braves populations de nos villes et de nos campagnes ont suffisamment exprimé leur ras le bol contre le régime de la IVe République. Ailleurs pour moins que ça, les soldats se sont mutinés, en brandissant contre les dictateurs, non pas des poings, mais des fusils. Les puissances d'argent qui sont promptes à condamner toute intervention autre que celles prévues par la Constitution se taisent et observent un silence complice.

   Voilà plus d'un an que nous vivons dans la crise. Tout le monde s'accorde à reconnaître que cela a trop duré, pour un pays pauvre comme le nôtre. Mais le pouvoir s'entête à ne pas prendre en compte les aspirations profondes qui sourdent du fond du pays réel. Et pourtant, comme on l'a dit et répété, un signal fort dans le domaine de la justice et une renonciation expresse au pouvoir à vie et l'acceptation de l'alternance, suffiront à disposer tout le monde au dialogue pour une véritable sortie de la crise.

   Face à l'entêtement du pouvoir et dans l'espérance d'une solution providentielle (qu'espérer d'autre si ce n'est d'en appeler au Ciel), il ne faut pas se refuser à prendre la moindre concession qui  est faite.

   En imaginant que rien ne change d'ici là et que le pouvoir s'obstine à organiser des élections législatives sans les représentants du pays réel, quelle sera la configuration de l'hémicycle ?

   La lutte menée par le Collectif ne gagnera-t-elle pas, à être appuyée par une opposition parlementaire (aussi « bourgeoise » soit-elle) qui prendra fait et cause pour elle ?

   Ce sont des interrogations, qui n'engage que mon humble personne et qui me paraissent cependant opportunes qu'on se les pose en y répondant sans aveuglement et sans suspicion aucune.

   Le Collectif des Organisations de masse et des partis politiques doit utiliser judicieusement les deux flèches en sa possession.

   Tout le monde souhaite une sortie pacifique, équitable, juste et heureuse de la crise.

 

 

 

    Nul n'a tort d'avoir parlé, à celui qui écoute d'en tirer profit.

    Que Dieu sauve le Burkina Faso !

 

 

 Valère D. Somé

 

Secrétaire Exécutif National du PDSU



24/10/2011
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