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Les Dagara du Burkina Faso: Origine et migrations (1ère partie)

LES DAGARA DU BURKINA FASO

ORIGINE ET MIGRATION

 


 

 

(Une recomposition d'extraits de la thèse de doctorat de l'auteur. Publiée dans « Espace scientifique » , Revue de vulgarisation de l’INSS. N° 10 Janv-Fév-Mars 2008,pp.27-35)

 

 


 

 

 

 

Les Dagara tels que photographiés par Rattray en 1935.

 

 

 

 

 

LES DAGARA: UNE BRANCHE DISSIDENTE DES DAGOMBA ?

 

 


     Lorsqu'on interroge les Dagara parmi les plus anciens sur leur origine, ils affirment tous, sans hésitation, leur origine dagomba.

     Les Tallense qui présentent bien de traits culturels communs (l’organisation clanique, en l'occurrence) avec les Dagara affirment être, selon FORTES, eux aussi, à l'origine, des Mampruse.

Pour Maurice DELAFOSSE, les Dagara sont issus d’une Invasion ayant pour point de départ le pays des Dagomba et ces Mampoursi.

 

 

 

«...il est en tout cas à peu près certain, écrit-il que le pays des Dagomba et des Mampoursi fut le point de départ d'invasions qui se portèrent vers le nord-est, le nord, le nord-ouest et l’ouest, constituant des états puissants à Fada-n-Gourma, Ouagadougou et Ouahigouya, et qui, grâce à leurs conquêtes, favorisèrent grandement l'extension du groupe mossi dans la boucle du Niger et la formation du peuple mossi proprement dit et des peuples gourmantché, Yansi, dagari et Birifo »(Maurice DELAFOSSE :«Haut Sénégal-Niger». Nouvelle édition, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1972 -1ère  éd. Paris, E. Larose, 1912 -. Tome I, p.306.)

 

    Puis il avance sans beaucoup de conviction, l'hypothèse de l’origine gbanian des Dagara.

    Ce sont, écrit-il, des Gbanian qui ont émigré dans leur emplacement actuel à la suite d'une poussée dagomba :


« Quant aux Birifor et aux Dagari, ils sont le produit d’une autre poussée des Dagomba, mais dans la direction de l’ouest cette fois-ci, poussée sans doute bien postérieure à celle  dont sortirent les Mossi, les Yansi et les Gourmantché; d’après des tradi­tions recueillies dans le cercle de Gaoua, ce serait seulement au début du XIXè siècle que les Birifor et les Dagari auraient achevé d’occuper le territoire actuel... Des Birifor issus de cette invasion dagomba étaient demeurés sur la rive orientale de la Volta noire, où on les retrouve encore, mélangés aux Dagari: les anglais les appellent assez improprement: Lobi-Dagarti (...). Les Dagari n’apparurent qu’après les Birifor, à  l’ouest de la Volta noire, mais ils devaient exister depuis longtemps déjà à l’est du même fleuve, et provenaient sans doute d’une migration Gbanian plutôt que Dagomba, mi­gration due précisément aux conquêtes effectuées par les Dagomba dans l’est du ter­ritoire Gbanian (c’est nous qui soulignons). L’invasion Dagari en ef­fet ne présente pas le caractère guerrier et conquérant des diverses invasions Dagomba auxquelles nous devons les Mossi, les Yansi, les Gourmantché et les Birifor, et le type actuel des Dagari est remarqua­ble­ment voisin du type Gbanian. Quant à leur langue, elle se distingue à peine du Gbanian qui d’ailleurs est lui-même très analogue au Dagomba. » (Op. cit., pp.312-313 )

 

Mais plus loin, il affirme :


«...il est en tout cas à peu près certain que le pays des Dagomba et des Mampoursi fut le point de départ d'invasions qui se portèrent vers le nord-est, le nord, le nord-ouest et l'ouest, constituant des états puis­sants à Fada-n-Gourma, Ouagadougou et Ouahigouya, et qui, grâce à leurs conquêtes, favorisèrent grandement l'extension du groupe mossi dans la boucle du Niger et la formation du peuple mossi propre­ment dit et des peuples gourmantché, Yansi, dagari et Birifo » (Maurice DELAFOSSE: 1912, Tome II,  p.306.)

 

Que ce soit les Moose, les Dagomba (de la région de Salaga), les Gbanian ou Gonja (de la région de Bolé), les Bura ou Frafra, les Mampruse (région de Gambaga), Maurice Delafosse (ibid, TII, P.305-306)  leur trouve des affinités étroites au point de vue du type physi­que et de la langue, même si leurs civilisations respectives offrent des diffé­rences assez notables. Et ce sont ces différences, que M. Delafosse perçoit dans la plus ou moins grande influence politique de l’empire  des Moose de Ouagadou­gou, qu'il reste à  expliquer.

   Mais l’origine gbanian des Dagara  est fort douteuse. Si l’on tient compte du fait que les Gbanian ou Gonja ont subi , après celle des Dagomba, une influence islamique de la part  de conquérants venus du Mandé, il n’est pas à exclure qu’une fraction des Dagara  fuyant l’assujettissement des Dagomba ait trouvé refuge dans le Gonja et ait été progressivement as­similée par ces Gbanian.

   Face à l’affirmation de ses informateurs quant au fait que les Dagara seraient des Dagomba, le père HÉBERT questionne:

 

 

« Vous dites que les Dagara  sont des Dagomba, mais ceux-ci, les Mossi et les autres ethnies sœurs ont une chefferie très organisée, chez les Dagara  il n'en est pas ainsi, alors qu'en penser? »

 

Et ces informateurs répondent :


« Les Dagara  proviennent des Dagaba , eux-mêmes se sont dé­tachés des Dagomba.» (Rév. Père HÉBERT : Esquisse d’une monographie historique du pays Dagara-Diocèse de Diébougou -- Texte ronéotypé, 1976, p.30)

 

      Cette affirmation  est cependant sujet à caution, car comme l’analyse Roland BRETON :


« Souvent l’origine et la provenance réputées sont illusoires pour la majorité des membres qui s’identifie à une minorité plus prestigieuse. Et souvent la majorité, en fait autochtone, se réclame-t-elle d’un petit nombre d’envahisseurs. Mais dans  bien des cas les invasions qui ont fait tant de bruit dans l’histoire, y compris celle qui ont amené la chute des empires et des bouleversements politiques durables, n’ont porté que sur quelques centaines ou milliers de personnes— et principalement des hommes partis sans femmes — qui en dominèrent des millions, après avoir supplanté leurs dirigeants où s’être alliés à eux. Ensuite, quand la fusion s’opère, on voit tantôt la nouvelle minorité dominante adopter la langue, la culture et les mœurs de la masse dominée, tantôt cette dernière faire siens, par exemple, le nom, la religion ou les mythes de la poignée d’intrus couronnées de succès. Si bien que tant de peuples sont réputés d’origine lointaine qui, en fait, descendent de nombreuses, mais obscures, générations locales auxquelles ne se sont adjoints que quelques conquérants célèbres. » (Souligné par nous).  Si bien que tant d’ethnies se croient de même sang que d’autres pour la seule raison qu’elles parlent des langues sœurs. Si bien que tant de populations s’imaginent provenir du lieu d’où sont parties leurs croyance religieuses et sans quelques prophètes, armés ou non (souligné par nous). » (Roland  BRETON. Les ethnies. Éd. PUF, Collection « Que sais-je ? », 1981, 16-17)

 

   De notre point de vue, les Dagara, à l’instar des Tallense vis-à-vis des Mampruse, ont constitué le fonds ancien de populations, qui ont subi l’invasion de petites bandes armées (et non des « tribus » entières), mieux équipées et ayant déjà la notion d’une « chefferie » hiérarchisée.

   FORTES parle d’un groupe Namoos au sein des Tallense, dont les membres prétendent descendre du groupe dirigeant des Mamprusi.

   Et  Elliot P.  SKINNER (1972, 34), rapporte, que Rattray qui avait étudié les Tallense, bien avant Fortes, a eu à faire la même constatation:

 

 

 

 

 

« D’après lui, le chef de l’un de ces groupes Namoos lui déclara: « Nous venons de Mamprugu... Nous sommes aujourd’hui devenus Tallense; nous ne pratiquons plus la circoncision car les peuplades locales refuseraient le mariage avec nous. »

  

   Ces bandes de conquérants pouvaient être, soit tout simplement des aventuriers, soit des dissidents de royaumes centralisés, voyageant avec peu de femmes (sinon sans femmes). Ils se marièrent aux femmes autochtones et adoptèrent certains de leurs traits culturels (notamment la langue) tout en s’érigeant au-dessus d’eux en classe dirigeante. Le mélange de tels envahisseurs étrangers avec  les autochtones dagara et d’autres groupes ethniques minoritaires donna naissance à une nouvelle ethnie, les Dagomba. Le gros de la masse dagara, refusant la soumission, a préféré prendre ses distances, préservant ainsi leur identité. Le même processus a pu être observé dans la constitution du royaume des Moose. Les Nunuma et les Nyõnyõse qui refusèrent d'accepter l’autorité d’Oubri, le fondateur du royaume, durent émigrer vers la Volta noire et dans le « Kipirsi », là où nous les retrouvons actuellement ; ceux qui restèrent furent absorbés par le flot envahisseur venu du Dagomba en se soumettant  à leur commandement. Au fil du temps, ils s'identifièrent peu à peu avec les conquérants étrangers et formèrent avec eux un seul peuple, celui des Moose.

   Telle doit être la relation d’origine entre Dagara  et Dagomba.

  Mais l’on doit faire remarquer que tout en étant la composante principale du fonds de populations autochtones, les Dagara  qui ont accepté la tutelle des conquérants étrangers n’étaient pas les seuls.

   Certainement, mais en nombre infime, des populations voisines -- Sisala (« Isala »), Frafra et même Tallense -- ont dû subir cette absorption qui a abouti à la formation d’une entité ethnique nouvelle, celle des Dagomba (sous une appellation ancienne ou nouvelle).

   Dans cette perspective, on peut affirmer que le même processus a pu être observé lors de la constitution du royaume gonja et du royaume du Mamprugu. Les conquérants étrangers d’origine mandé (pour le Gonja), d’origine tchadienne, les descendants de Tohajiyè (pour le Mamprugu et le Dagomba) ont assujetti diverses communautés ethniques voisines. C’est le trait culturel (l’adoption de la langue notamment) de la communauté ethnique autochtone (les Tallense pour le Mamprugu, les « Guang » ou « Gouenn » pour le Gonja)  la plus importante qui reste la marque dominante dans la formation nouvelle issue du processus d’absorption.

   Là se situe peut-être l’erreur de Delafosse lorsqu’il  a affirmé que les « Dagari »  provenaient sans doute d’une migration gbanian plutôt que dagomba. Il s’appuyait, ce faisant, sur la parenté linguistique entre le dagara, le gbanian et dagbama.

   Le capitaine BINGER (Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi. 1887-1789. Paris-Hachette, 1892, réédité par la « Société des Africaniste » en 1980. Tome II, Chap. XII, p.113), avant lui, avait fait remarquer que ces Gbanian présentaient peu de différences avec les « Mampourga » et les « Dagomba » de telle sorte qu’il n’a pas hésité à leur trouver la même origine malgré le fait que ces Gbanian ne parlaient ni « dagomsa », ni le « mandé » mais une langue qui a paru à Binger être « un dialecte achanti » que les missionnaires ont appelé le « guang », les Mandé et les Hausa « gouannia », et les intéressés eux-mêmes» gouenn ».

 

   À moins que le peuple dagomba ait existé, comme le suggère la tradition dagomba recueillie par Tamakloe,  avant l’arrivée des conquérants étrangers (les descendants de Tohajihè venus du Tchad par le Niger).

   À moins que le peuple dagomba ait existé, comme le suggère la tradition dagomba recueillie par TAMAKLOE (TAMAKLOE: Traditional history of Dagomba in « Tales told in Togoland » by A.W. Cardinal. Negro Universities Press, West-Port, Connecticut.1931, 237-239), avant ('arrivée des conquérants étrangers (les descendants de Tohajïhè venus du Tchad par le Niger) (Cf.  Article, « L'origine des Moose : un état des lieux in « Espace scientifique » n° 9).

   Ces Dagomba primitifs (Proto-Dagomba), à part l'existence de prêtres qui exerçaient sur la population un contrôle très limité, n'avaient pas de souverains. Dans certains cas, le chef d'une maison qui comptait beaucoup de membres, ou qui possédait beaucoup de têtes de bétail, était considéré comme le chef du village. Mais l'endroit le plus sacré dans le pays se trouvait à Yogo, et ses prêtres étaient à la tête des Dagbamba.

   Ces chefs ou prêtres avaient le privilège de s’asseoir sur des peaux de vaches et utilisaient les peaux de lions et de léopards selon leur autorité, qu’ils désignaient par l’expression « ada gbon » (ce qui signifie « la peau de Ada »), d’où le nom du pays, « Dagbon » et celui de ses habitants « Dagbamba ».

   C'est dans cet état d’« anarchie et d'organisation rudimentaire » que Na Nyagse, le fils de Sitobu, dont les ascendants sont successivement Gbewa, Kpogonumbo et Tohajiye, les trouva et leur fit la guerre, tuant tous les prêtres et les remplaça par ses fils, frères et neveux. Na Nyagse unifia ainsi tout le pays Dagbon.

L'intérêt du récit de TAMAKLOE apparaît lorsque l’on fait rapprochement avec le témoignage recueilli auprès des Dagara par le rév. Père HÉBERT :


  « Ils (les Dagara ) assurent, écrit le Père HÉBERT, que l'autorité du chef dagomba ne lui a pas été accordée par la coutume. Cette autorité lui aurait été arrachée par un chef nigérien aux Dagomba, par la force de la conquête. Notons que la famille royale mossi, dagomba, ... vient du Niger. Ce chef étranger, grâce à sa cavalerie, inconnue des Dagomba, soumit ceux-ci. Le chef de terre légitime du pays Dagomba et la population auraient accepté le joug de l’étranger pour éviter l'anéantissement de la race. » (Op.cit. p., 32)

 

   Quelle relation peut-on établir dans ce cas entre les «Adités» (les descendants des géants d'aspects horribles, on se souvient sous l'appellation de « Kondors » ou « Tiawomya », les premiers Dagomba ou «proto-Dagomba» et les Dagara ? Est-ce le même peuple que l'on désigne sous les dénominations différentes? Ou, tout simplement les Dagara sont-ils les descendants de ces « Adités »? Si oui, est-ce seulement les Dagara ?

   Alors lorsque les Dagara  affirment qu’ils étaient à l’origine des Dagomba, ils disent vrai. Ils étaient des « proto-Dagomba » différents des Dagomba actuels, résultat du mélange entre les conquérants étrangers venus du Niger et les Dagomba primitifs.

   Mais il reste à déterminer les différentes ramifications, dans le temps et dans l’espace, de ces Dagomba primitifs (au sens de premiers).

   Tous les anthropologues qui se sont penchés sur les populations du Nord-Ghana ont constaté une similitude tant sur le plan linguistique que sur le plan anthropologique. Les Tallense, les Nankana, Builsa, Dagara  (Dagaba ), que l’on peut considérer comme ayant toujours vécu dans cette région, ont en commun les mêmes pratiques religieuses (le culte de la terre comme religion universelle et le culte des ancêtres comme religion privée), la même organisation sociale basée sur l’appartenance à une même maison (le système du « yir ») et le même système politique ( dans le passé, ces populations ne connaissaient pas de chefs mais des prêtres (« tendana » ou « tẽw-gãn sob »).

 

 

 

LES DAGARA, UN SOUS-GROUPE DES MOSSE ?

 

    M. DELAFOSSE a été le premier Européen à effectuer des enquêtes ethnologiques dans l’Ouest-Soudan sur la demande de CLOZEL, gouverneur de la colonie du Haut-Sénégal-Niger. Il distingua sur la base de critères morphologiques « cinq familles de races noires » : Tukulor, Songhaï, Mande, Senufo et Voltaïc. Cette classification est, selon Jack GOODY,  restée dans ses grands traits valable jusqu’à nos jours.

    Et à quelques exceptions près, on peut dire que les travaux récents sur les langues ont suivi largement le schéma de M. DELAFOSSE.

    Le groupe voltaïque concerne les habitants de la zone soudanaise qui s’étend à l’intérieur de la boucle du Niger.

   WESTERMANN et BRYAN les considèrent comme faisant partie de la langue « gur » (terme emprunté à CHRISTALLER pour désigner le groupe voltaïque).

   CHRISTALLER préfère d’ailleurs employer « Volta-Sprachen » à la place des « langues kwa ».

  GREENBERG appelle les langues voltaïques groupe « Mossi-Grunshi », un terme qui apparaît d’ailleurs dans une étude de DELAFOSSE (1904).

    DELAFOSSE, dans son dernier livre, subdivise cette famille « Mossi-Grunshi » en sept branches: « Tombo », « Mossi «, « Grunshi », » Bobo », « Lobi », « Koulango » et « Bariba ».

WESTERMANN et BRYAN (1970, 63-66), dans leur récent ouvrage « The languages of West Africa », ont révisé leur précédent classement. Ils reconnaîssent maintenant huit sous-groupes comprenant les groupes suivants: « Mossi « (ou « Mole-Dagbane »),  « Grunshi », « Bariba » (ou « Bargu ») et « Koulango »(auquel il joint le « Lobi »), « Dogon » (ou « Tombo ») et « Bobo » (y compris « Senufo »), « Tem » et « Gurma ».

    C’est, le long de la Volta noire, au niveau du 11e parallèle, et formant la frontière entre Le Ghana et le Burkina Faso, qu’existe un certain nombre de populations parlant les langues du « sous-groupe Lobi » et du « sous-groupe Mossi » de la famille voltaïque. La principale concentration des populations parlant le Mossi se trouve dans la région à l’est de la Volta blanche et  s’étend de Ouahigouya,  au nord, jusqu’à Salaga, au sud. J. GOODY appelle ce groupe le groupe oriental des peuples parlant le « mossi ».

   À l’est de ce groupe occidental, il y a une série de populations du « groupe Grunshi » : les « Sisala » (concentrés entre Lambusie et le fleuve Sisili, et disséminés dans la vallée du Kulpawn) les « Chakalle » du district de Wa, les « Tampolense » et les « Vagala » du Gonja (gouvernés par des chefs immigrants parlant le guang, une langue de la famille kwa: « Guang is a Kwa language »), les « Degha » (ou « Mo ») au Gonja-sud et au nord-est de l’Ashanti; et en Côte d’Ivoire, les « Siti » et les « Degha ». Les Degha ont été identifiés par Delafosse en 1904 aux « Mo ».

    À l’est des populations du « groupe grunshi », et largement entourées par elles au nord et au sud, se trouvent les populations  que GOODY dénomme « groupe occidental  Mossi «. Ce sont les Birif]r, les Wule (« Oulé » ou « Dagari Oulé », pour les auteurs français), les « LoDagaba  » et les « Dagaba  » (ces deux derniers groupes sont désignés par les termes « Lober » et « Dagaba  » par RATTRAY). Ce groupe occidental, GOODY propose de l’appeler « the dagari-speaking peoples ».

    Au sud du Gonja-ouest, on trouve d’autres populations parlant des langues du « groupe mossi » : Nome, « Mara » et « Safaliba ». Ceux-ci forment une langue qui s’étend de Daboya et Yapei jusqu’au sud de Bole.

GOODY les inclut au « groupe oriental mossi » avec lequel ils sont contigus.

   Le « groupe Lobi » est formé par les populations étudiées par Henri Labouret et qui se trouve à l’ouest de la Volta noire.

   Le « groupe Lobi » est formé par les populations étudiées par Henri LABOURET et qui se trouve à l'ouest de la Volta noire. Au point de vue linguistique Henri LABOURET a donné des « tribus » du Lobi le classement suivant :

 

 

 

 

 Sous-groupe lobi

 Dian

 Dorossié

 Gan

 Lobi

 

 

 

 

 

 

 

 

  Le père GIRAULT, reprenant à son compte les résultats de l’ « Inventaire lin­guistique de l’AOF et du Togo », écrit à propos de la langue dagara :

 

 

« Le dagara  est une langue voltaïque, dont les dialectes peuvent se ramener à trois, cor­respondant aux trois principales ethnies stationnées sur le territoire voltaïque. Nous emploie­rons la terminologie qu’ils em­ploient pour parler les uns des autres et qui est plus claire: les Lobr, les Wiile et les Birifor.... Ces trois dialectes se réfèrent de très près au moré (parlé comme on le sait par les Mosé), avec lesquels ils ont une origine commune certaine au pays dagaomba... Au point de vue lexical, la langue dagara  a tout emprunté au moré, quoique sémantique­ment le recouvrement des mots diffère assez sou­vent. Des trois dialectes, le Lobr est le moins représentatif des formes archaïques moré: ses formes sont plus dégradées. Des diffé­rents dia­lectes moré, celui du Yatenga est le plus proche de la langue dagara. Il est inutile de préciser ici qu’aucun mot moré emprunté à l’arabe n’est passé en dagara, ce qui permet de situer l’époque de la diffé­renciation de la nouvelle ethnie dagara ... Les divers parlers  lobr  diffèrent très peu l’un de l’autre...  Les parlers wiile possèdent le même système consonantique que les lobr, mais leur sys­tème vocalique présente des particularités communes avec le birifor. À part quelques diffé­rences de vocabulaire, la structure grammaticale du  wiilé est la même que celle du lobr  et du  birifor... Les parlers birifor: leur différenciation doit être en tout premier lieu cherchée dans les causes historiques: quelques dix familles sont à l’ori­gine des Birifor.» (rév.Père GIRAULT, cité par le Père  J. HÉBERT: 1976, 22.)

 

 

    Depuis Maurice DELAFOSSE, on a pris l'habitude de classer  la langue dagara dans la famille des langues voltaïques, dans le sous-groupe « mossi » qui comprend «le morhe ou mossi », le « gourmantché », le « nankana » et le « dagari » ( auquel se rattache le dialecte « birifor» (– rév. Père GIRAULT, cité par le Père  J. HÉBERT: 1976, 22)

 

   L'historien burkinabé Joseph KI-ZERBO (1972, 244) répartit en deux grands groupes de langues les peuples habitant la Haute-Volta. Et il classe le dagara dans le groupe voltaïque qui comprend en outre le « mossi », le « gurunsi »,  le « lobi », le « bobo », le » sénoufo », etc.

    Le second groupe, qui est le groupe mandé,  comprend le « bobo-fing », le « bisa », le « samo », le « samoro » de Orodara,  les « marka ».

 

« Tous ces groupes, écrit Joseph KI-ZERBO, se sont mêlés depuis des siècles, créant même des ethnies mixtes comme les Silmi-mossi. C'est pourquoi la langue demeure parfois un élément-témoin isolé au milieu d'une culture empruntée à d'autres ethnies. » (Ibid.)

 

   D. WESTERMANN et M. A. BRYAN dans « Languages of Africa » localisent le dagara dans le « sous-groupe mossi » qui lui-même appartient à l'ensemble Gur, déno­mination qui, proposée par G. A. Krause et adoptée par Christaller, est dérivée de noms comme « Gurunsi », « Gurma », etc.

    Dans la toute dernière classification, celle de Manessy (Contribution à la classification généalogique des langues voltaïques; Société d'Études Linguistiques et Anthropologiques de France - SELAF. Paris 1979, Annexe I), le « dagara »  est classé avec le « moore »  dans le sous-groupe occiden­tal des langues Oti-Volta, sous-ensemble de la famille des langues vol­taïques.

   Malgré toutes ces investigations qui ont effectué un grand pas dans la classification des langues, Georges LACLAVERE en 1993 (1993, 33) s’appuyant sur l’étude sur les langues gur effectuée par Swadesh et Arana, classe le wule dans le  «lobiri », la langue des Lobi.

 

    Qu’il y ait des affinités réelles entre le « dagara » et  le « more », cela n’est pas matière à discussion. Au-delà de la parenté linguistique, les Dagara  et les Moose se reconnais­sent une origine commune.

   Les Dagara prétendent que leurs ancêtres étaient les grands-pères des Moose. Une enquête menée auprès de ces derniers confirme la même conviction. « yaa-ba» (grands-pères) est le terme que ceux-ci utili­sent vis-à-vis des Dagara .

   Des avis recueillis par le père Jean HÉBERTauprès des habitants de Koper (village dagara) corroborent cette croyance. Ils laissent entendre que l’an­cêtre dagara eut deux fils. De l’aîné sont issus les Dagara, et du cadet les Moose.

   Au sein des Dagara , il existe une autre version qui établit un lien de parenté d’oncle à neveu entre les Dagara et les Moose.

   Quoiqu’il en soit, Moose et Dagara  entretiennent, au nom de cette origine commune, des rapports de plaisanteries. Et l’histoire que nous reproduisons ci-dessous, et qui est rapportée par le père Girault, relève, selon nous, des faits anecdo­tiques qui entretiennent ces rapports de plaisanterie.

 

 

« D’après une vieille légende, les Dagari seraient originaires de Tenkodogo (tega: pays ;  kudya: ancien). On raconte qu’un des Naba (chefs de Tenkodogo) aurait envoyé un de ses fils pour acheter une selle de cheval dans le pays Dagara  actuel. Ce fils ne revint jamais. Après plusieurs années d’absence, le chef envoya enquêter sur le sort de son enfant. On le trouva marié et père de famille; il refusa de re­tourner au pays natal.  À cette nouvelle, le Na­ba de Tenkodogo dé­cida de l’appeler, lui et ses descendants: «da-garè», celui qui a acheté une selle de cheval, en souvenir de sa mission. Il est possible que les mosé trouvèrent la chose ridicule, c’est pourquoi ils appelèrent désor­mais les Dagara  «Da-gabse» (singulier: Dagaba ) c’est-à-dire originaire du pays Gambaga, pays qui fut le foyer commun de toutes les ethnies. De la sorte, les mosé continuent à considérer les Dagara  non comme des étrangers, mais comme des frères» (Rév. Père GIRAULT: Actes du second colloque international de linguistique négro-africaine tenu du 12 au 16 avril 1962 à Dakar. P.173, cité par Père Hébert: 1976, 23)

 

   Ce récit fond en une, deux considérations: l’une qui fait des Dagara  les descendants de l’envoyé moaga qui se serait révolté et l’autre qui les fait venir du Gambaga.

   Chez les Dagara  eux-mêmes, il persiste dans la tradition historique une légende construite à partir  d’un orphelin dagomba révolté. Celui-ci aurait constitué un groupe social dissident des Dagomba, et qui serait le groupe dagara (dagara = « un homme révolté qui acheta des captifs»).

 

   Le père HÉBERTnote que cette explication, surtout dans sa partie «da», ne lui paraît pas satisfaisante. «da » signifie, selon lui,  « homme » et «da-gara», «un homme révolté». En effet, en wule (dialecte plus ancien), homme se dit «daba» et «dawa» en more. Chez les Daga-Lobr, dont le parler est plus contracté, le «a» est rendu par  le « ɛ » de telle sorte que homme se dit «dɛb». Si les Wule utilisent «dar» pour désigner un enfant né après la mort d’un autre, les Daga-Lobr, eux, utilisent «dɛr».

   G. Der BENNEDICT affirme la même idée lorsque, s’érigeant contre l’affirmation de J. GOODY, selon laquelle l’appellation « dagara » est un terme que les Puguli ont donné à la tribu qui porte ce nom. Il écrit:

 

« It is not one of recent adoption but a term closely linked with their origins. Interviewees in Nandom were of the opinion that Dagara  comes from the words « da gar », meaning « gone wild », and were used by the Dagomba to refer to them as a people who had gone wild when the Dagara  broke away from the Dagomba (who actually call Themselves Dagbamba.» (G. Der  BENNEDICT: The origins of Dagara-Dagaba in Papers in Dagaba Studies; Langage Center, University of Ghana, Legon. 1989, 3)

 

    En effet, Jack GOODY écrit:

 

« One sometimes hears the term Dagra used by the LoDagaba for internal reference whereas they speak of the Wiili and Dagaba  to the East or patrilineal side of them as the Dagabr (s.Dagaba ). But I was told that this was a recent adoption of a name by which they were know to a neighbouring people, the « Puli », presumably the Pougouli mentioned by Labouret, a Sisala-speaking group living to the west of Diébougou; in others words, a name of external reference applied to the group has been taken over as a name of internal reference. The usage is far from frequent » (J. GOODY: 1967, 25)

 

    A l’appui de la légende de l’orphelin dagomba qui se serait révolté, une explication linguistique assez répandue  veut que le terme «dagara » soit composé à partir de «da » (acheté) et de «gaara » (révolté) et signifie «un homme révolté (contre les Dagomba) » et qui achète des captifs.

    Achille P. SOME, un linguiste confirmé, rejette énergiquement cette interprétation (voir Achille P. SOME: systématique du signifiant en Dagara: variété Wùle . Éd. l'Harmattan, 1981)

Pour ce linguiste, tout comme pour le père HÉBERT, l'interprétation de « da » dans « dagara » n'a absolument rien à voir avec le verbe « acheter » :

 

 

«Il vient tout simplement de dâbâ «homme» (dâwâ ou râwâ en more) dont la base est/dàb/ dans/dàblʋ'/ [ d]]lʋ’ ] « état d'homme, à la manière d’homme» ou // dans /dáá-jínâ/ «homme maigre», ou /dà/ dans /dà-kùmò/ « homme non initié » » (Op. cit., pp.10-11)

 

Après avoir épilogué sur le terme «gara » dans « dagara », il conclut:

 

 

«Ainsi Da gara signifie « homme qui est en train de s'en aller, de voyager, de marcher, de partir, etc... ». Autrement dit le terme dagara est le support explicite, historique et linguistique du peuple dagara tout entier et de son émigration depuis le Ghana — et peut-être au-delà —jusqu'en Haute-Volta. » ( Ibid., p. 14)

 

    Sans être un linguiste, nous sommes enclin cependant à faire nôtre cette approche faite par Achille Somé.  Et l’unique argument qui nous incite à un tel penchant, nous le puisons dans la langue des Waala et des Daga-Jule , qui encore aujourd’hui  disent   «nyinɛ ka fu gara »? Ce qui est traduit par: « où allez- vous? »

 

    En effet cette approche linguistique qui définit le terme  « dagara » comme  « un homme en train de partir », semble être désormais un acquis  pour la majorité des intellectuels dagara qui, après Achille Somé, se sont penchés sur leur société.

    C’est le cas de Bèkuonè Somé Deri Joseph Mukassa lorsqu’il affirme que « dagara » en parler dagara ancien veut dire « un homme allant ou par­tant» ou bien «un homme en train de partir».

    Les Dagara, agriculteurs-éleveurs, explique-t-il, ont toujours été en quête d'espaces verts et fertiles pour l'agriculture et l'élevage. Initialement un groupe « patrilo­cal » pèlerin,  sans cesse en mouvement vers de nouvelles terres et des espaces ferti­les, il est devenu un peuple sédentaire au contact d'autres peuples.

Il demeure cependant une interrogation: au contact de quels autres peuples les Dagara  se sont-ils  sédentarisés ? Puisque les Lobi qui les avaient devancés dans le mouvement migratoire étaient eux aussi en perpétuel mouvement.

    Cécile De ROUVILLE (in Organisation sociale des Lobi: Burkina Faso Côte d'ivoire, l'Harmattan. 1987, p.35) écrit à ce propos :

 

« Les Lobi apparaissent en effet, à travers les traditions his­toriques et les récits mythiques, comme d'éternels migrants et se représentent eux-mêmes leur histoire, depuis ses origines comme celle d'une longue mi­gration, lente et continue, qui après les avoir menés d'«en bas » (tièr), c'est-à-dire de l'est vers  «en haut » (jun), l'ouest, les pousse aujourd'hui toujours plus avant vers le sud, dans le «pays de la brousse» (hwoduo), ainsi qu'ils désignent le pays koulango dont ils colonisent progressive­ment les terres.»

 

   Et avant elle, M. FIELOUX (in « Les sentiers de la nuit: Les Migrations rurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte d'ivoire » Orstom.1980, p.17) avait fait le constat selon lequel « l'instabilité de la population lobi semble inscrite dans son his­toire. »

    Pierre ILBOUDO, intellectuel d’origine moaga (ceci explique cela !), lui n’hésite pas, citant TAUXIERr à la rescousse de son chauvinisme « grand-moaaga», à faire du pays dagara un appendice du moogho (l'empire des Moose) qui, à son apogée, « comprit alors toute la boucle du Niger, mordit sur le dixième paral­lèle, et s'éten­dit de Oua (Wa) à Gambaga au sud, jusqu'aux abords de Tombouctou, au nord» ((Pierre ILBOUDO : Croyances et pratiques religieuses traditionnelles des Mossi. Recherches Voltaïques. Paris CNS / Ouagadougou CVRS. 1966, 14).

   Et en note, il en déduit que le «peuple dagari » actuel aurait son origine dans cette ancienne présence mossi aux abords des 9e et 10e parallèles.

Poursuivant son développement, il  écrit plus loin :

 

 

« Les revers essuyés par les Mosi à partir de 1483 devant le fondateur du second Empire songhaï et ses successeurs, notamment l’Askia Mohamed qui, en 1497, prêcha la guerre sainte contre les Mossi afin de les convertir de force à l’Islam, et sous l’Askia Daoud qui, en 1549 et 1561, mena de brillants raids contre eux, provoquèrent une contraction de l'empire Mossi aux frontières nord; un mouvement analogue se produisit au sud. Ce mouvement de repli devait permettre une organisation plus efficace de la défense des parties vitales de l'empire, laissant hors de la zone de défense les ré­gions marginales d'occupation récentes faiblement intégrée à l'empire et peu mossisés, telle la région occupée aujourd'hui par les Dagari dont la similitude de la langue avec le Mooré atteste une influence ancienne Mossi. » (Op. cit., pp. 14-15)

 

    TAUXIER avait en effet déjà écrit :

 

«  Au point de vue ethnique, les Dagari sont une race provenant d’un mélange d’habitants primitifs du pays avec des mossis envahisseurs. Cette invasion mossi se produisit probable­ment au moment de la grande expansion (XIVe siècle de notre ère). L’invasion est certaine, mais la date est douteuse. C’est la suite d’une famine que cette inva­sion se serait produite et elle serait partie de Tenkodogo, un des pre­miers centres d’expansion de la race. » (TAUXIER: Le Noir du Soudan. Pays mossi et Gourounsi. Paris, Larose. 1912, p.360)

 

   Le Père GIRAULT accrédite quelque peu cette thèse lorsqu’il prétend que la « la langue dagara a tout emprunté du moré »

 

   Mais quels étaient ces habitants « primitifs » du territoire occupé par les Dagara   et auxquels les Moose  imposèrent leur langue ?

   TAUXIER répond :

 

 

« Si l’on consulte les mœurs belliqueuses et sauvages des Dagari ac­tuels, leurs descendants pour une part, on en fera sans doute des Lobis ou des gens apparentés très près aux Lobis. C’étaient peut-être tout simple­ment des Zangas, puisque les Zangas de la Résidence de Léo habitaient jadis en pays Dagari ( à Molo, cercle ac­tuel de Diébougou) et se van­tent d’avoir été  les premiers installés en pays Dagari, avant que les Dagari-Mossi fussent venus les conquérir. À la suite de cette conquête ils quittèrent leur pays primitif et vinrent, marchant vers le nord, s’installer parmi les Nounoumas dans le canton de Nabou [….] , En résumé, les habitants primitifs du pays Dagari auraient été les Zangas, apparentés sans doute d’assez près aux Lobis, et les Dagaris actuels se­raient le résultat du mélange de ces Zangas et des Mossi venus de Tenkodogo.  Les Mossi en tout cas se fondi­rent dans la masse primi­tive et en adoptèrent les coutumes, mais lui imposèrent leur langue. » (TAUXIER, op. cit., pp.360-361)

 

   « En définitive, les Dagaris actuels sont un mélange de populations primitives du pays Dagari et de Mossi. Ils ont pris la langue mossi, mais pour le reste, ce sont les Mossi qui se sont fondus dans les autochtones (Ibid., p.362)

 

    TAUXIER réfute cependant la légende qui veut que les Dagara  soient les descen­dants de l'envoyé « moaga » parti pour acheter une selle de cheval.

     Cette légende rentre en contradiction avec l'hypothèse de l'émigration des Dagara  allant du sud-est vers le nord-ouest.

     Et c'est le même auteur qui affirme cependant que  «les Dagara  tirent leurs origines des Dagomba dont ils seraient une branche dissidente. »

 

  Cela semble tout à fait étrange sinon paradoxal que les Dagara soient des Mosse (en partie), et ce de deux point de vue :

    - les Dagara sont un peuple « anarchique », « belliqueux » qui se rendaient eux-mêmes la justice, ce conduisaient à des affrontements continuels entre clan, villages, etc…

      -  les Moose, eux sont dotés de structures hautement centralisés.

 

    Du fait de leur ascendant «mossi », ils auraient dû être « plus policés et plus ordonnés » que leur voisins « Bobo» et « Gourounsi ». Hors c'est tout le contraire.

    Comment expliquer un tel paradoxe ?

 

 

« Cela s'explique écrit TAUXIER, si l'on songe que les Mossi qui vinrent du Nord s’établir chez les habitants primitifs du pays Dagari y trouvèrent une race sauvage, très belliqueuse, analogue aux Lobis actuels qui ont une si mauvaise réputation et qui sont craints des noirs voisins. Les Mossi, alors dans toute leur force d'expansion, soumirent cette population, lui imposèrent leur langue, puis étant une minorité, se fondirent peu à peu en elle par la suite. Depuis, le fond sauvage a reparu et de là cette anarchie signalée, dans les rapports entre individus et familles. » (Ibid., p.374).

 

    H. BAUMANN et D. WESTERMANN, défendant la même idée, se sont hasardés à donner quelques précisions sur la date de cette invasion « mossi » et la désignation des « habitants primitifs » avec lesquels les Moose se sont mélangés pour donner naissance, entre autres, aux Dagara.

    Ils ont écrit en effet :

 

 

« En 1336, les mossis occupaient déjà le Yatenga un royaume frère au nord, cette date marque l’occupation de Tombouctou enlevé au royaume de Mellé, occupation qui a duré quelques années. Vers la fin de la même époque, les mossis se sont rendus dans le sud jusqu'à Oua sur la Volta noire où ils ont donné naissance, en se mélangeant aux autochtones (Gourounsis, Lobi ?), à une série de peuples nouveaux ( les Dagaris, Nankanas, Ouatas, etc.).» (H.BAUMANN et D. WESTERMANN: Les Peuples et les civilisations de (Afrique. Payot, Pari. 1967, p.404)

 

    Et c’est là tout l’intérêt anthropologique que suscite l’histoire des origines. Les Moose sont issus de la fusion de plusieurs ethnies par le fait de conquérants dagomba. Là, ils ont non seulement imposé leur langue, mais aussi et surtout leur organisation politique.

    Chez les « Zanga », ils n’auraient imposé que leur langue, faisant leur l’absence de structure politique qui caractérise les « Zanga ».

     Serait-ce le cas de figure qui montre que, comme le dit Pierre Philippe REY:

 

«l’État est loin d'être vainqueur à tout coup lorsqu'il s'affronte à une société ligna­gère; le retour au système lignager, après une tentative d'institution du pouvoir étati­que, peut se produire tant qu'on n’a pas at­teint le stade de la soumission réelle aux rap­ports tributaires, qui im­plique un bouleversement complet des bases techniques de la pro­duction. » (in Guerres et Politique lignagères. In « Guerres de lignages et guerres d'états en Afrique » ; textes rassemblés et présentés par Jean BAZIN & Emmanuel TERRAY. Éditions des Archives Contemporaines, 1982, P.44

 

    Examinant l’hypothèse qui fait des Dagara un mélange des « Zanga » et des « Moose », le père GIRAULT,  par l’étude de la langue «zanga », a abouti à la conclu­sion qu’elle  n’était pas crédible. Ces « Zanga » seraient une branche des  (Dyan) qui habitent des villages qui se trouvent  à plus de 110 km de Léo. Ces , appe­lés  «Zeansé» (ceux qui se sont mis à l’écart) par les Moose, et «Djané» par les Dagara, seraient venus du Ghana pour s’installer d’abord dans les environs de Fara (dans la circonscription administrative de Léo) pour ensuite se diri­ger dans la région de Dièbougou.

     À moins qu’à la base d’une telle hypothèse se trouve l’histoire mal connue des « Manlarla » ou « Imuola » de la région de Kaléo, au nord de Wa au Ghana, et qui, sont à l’origine des purs Moose ayant adopté les coutumes de mariage, les funérailles et même la langue dagara

 

    Henri LABOURET (in Nouvelle notes sur les tribus du rameau lobi. IFAN, Dakar. 1958, p.22), ayant constaté chez les peuples qui habitent le bassin occidental des Volta et de leurs affluents une uniformité culturelle évidente qui se traduit par un ensemble de formes économiques et sociales compa­ra­bles ainsi qu'une indéniable parenté linguistique, note cependant de sé­rieuses différences quant à leurs structures sociales : les uns ont une organi­sa­tion politique très centralisée alors que les autres « ont paru longtemps inca­pables d’atteindre un stade politique organisée en dehors de la famille

     Et il a recours à M. FORTES pour expliquer une telle disparité :

 

 

« Selon le prof. M. FORTES (in The Dynamics of Clanship among the Tallense, p.11 et s.) il s'agit, dans le premier cas, d'une population sou­mise à une aristocratie étran­gère et conquérante.  Celle-ci s'est mêlée à des occupants préétablis et les a in­fluencés. Dans le second, on se trouve en présence d'indépendants traditionnels, pri­vés de contacts avec l'extérieur, uniquement préoccupés de leurs intérêts familiaux, et ayant eu peu de facilités pour évoluer.» (Ibid.)

 

    Si une telle explication convient aux Lobi, à propos desquels les historiens s’accordent à reconnaître qu’ils sont longtemps restés isolés et insoumis jus­qu’au début du siècle, on ne saurait dire de même pour les Dagara  dont l’influence dagomba ou gonja est fermement établie. La tentative d’insti­tution de l’État chez les Dagara , qu’elle ait été le fait d’hommes prestigieux issus de leur sein (tel fut le cas de Beyõ Sõme de Ulo), des Dagomba, des Gonja ou des Moose venus de Tenkodogo, a avorté.

    Qu’il y ait une affinité certaine entre Dagara  et Moose, cela n’est donc pas en cause. L'hypothèse faisant cas d’un mélange des Moose avec  des peuples aborigènes  habitant le territoire qu’occupent actuellement les Dagara  semble être une hypothèse qui veut rendre compte à posteriori d’un état de fait, à partir de similitudes frappantes. Dagara  et Moose ont tous deux une affinité his­torique et linguistique avec les Dagomba. C’est un groupe de guerriers dagomba qui a fusionné des populations aborigènes pour former la « nation» moaga. Les différentes « nationalités » ont  été unifiées sous l’égide des conquérants dagomba qui leur ont imposé leur organisa­tion  étatique et leur langue au prix de quelques emprunts. Il est possible que par une autre poussée des guer­riers dagomba aient effectué une entre­prise similaire sur le nord-Ghana, avec moins de succès, face à la force des structures lignagères. Les Manlarla ou Imuola ne seraient, dans ce cas, que des Moose qui se sont repliés au voisinage des Dagara, mus par le souvenir de leur ori­gine commune. Les échanges entre les deux communautés ont conduit ces « purs Moose» à se « dagaratiser ». Un mauvais repérage historique de cet établissement pourrait être à la base de l’hypothèse des Dagara  qui se­raient un groupe de Moose lésés de la chefferie et qui auraient investi d’autres « peuplades » aborigènes.

 

 

 

 

LE MOUVEMENT D'EXODE DES DAGARA

 

 

   Les Dagara furent donc soumis à des raids perpétuels organisés tour à tour par les Dagomba et les Mampruse, les Gonja, les Jerma et les sofa de Samory Ture. Cela explique pour une grande partie le mouvement massif d’exode vers l’autre rive de la Volta.

   Le mouvement migratoire des Dagara du Dagbon, se situerait entre 1476 et 1500, période où Na NYAGSE était en train de consolider le royaume dagbon. La dureté de son règne aurait poussé les Dagara à fuir le Dagbon. D’où le terme «Dagar» qui leur a été appliqué.

G. Der BENNEDICT, écrit en effet:

 

« His forceful rule perhaps created the conditions which made the Dagara to break away from the Dagomba, and hence, the term « Dagar » which was subsequently applied to them »( op.cit. P. 12)

 

   Il y a lieu cependant de distinguer ce type de mouvement dû à des pressions militaires et entraînant des expulsions de populations de leurs terres de celui des migrations sporadiques individuelles, et par petits groupes, dû à des pressions démographiques ou à l’épuisement des sols.

   Les Dagara abandonnaient leurs anciennes terres pour de nouvelles régions où les terres étaient abondantes et où de hauts rendements pouvaient être réalisés. Ces nouvelles terres étaient découvertes lors des activités de chasse.

   Ce qui intéressait les Dagara dans leurs migrations, c'était non la soumission des populations mais la conquête de leur territoire, car ils ne savaient pas gérer des hommes en dehors du cadre étroit du lignage. C’est pourquoi ces conquêtes n'ont jamais abouti à l'organisation du territoire sous une domination politique.

Le nombre de générations entre le fondateur de n'importe quel groupe de filiation et le représentant actuel du clan est de deux à quatre.

    Henri LABOURET avance le chiffre de cinq depuis que les et les Wule abandonnèrent la rive gauche de la Volta pour la rive droite.

    L'estimation de la date de passage (1730) est basée sur l'estimation de 30 ans par génération.

    L'établissement des frontières a découragé le mouvement général du Sud-Est vers le Nord-Ouest, ce qui fut visible à Lawra et Nandom.

Après, avec la répression exercée par l'administration coloniale française sur les populations (taux d'impositions exorbitants, travaux forcés), on assista à une forte immigration des Birifor et des Daga-wule vers les rares espaces inhabitées de Wa et du Gonja.

    Mais ce qui n'a pas été signalé par les différents auteurs qui se sont penchés sur cette migration des populations du Nord Ghana, c'est le fait que ces migrations ne se sont pas opérées de façon rectiligne et dans un seul sens. Il y a eu des va-et-vient incessants entre les deux rives de la Volta noire (Muhun).

Si du côté de la rive droite (côté Burkina Faso) la conviction est générale chez les Dagara qu'ils viennent tous de la rive gauche (côté Ghana), c'est avec beaucoup de surprise que nous avons, lors de nos enquêtes auprès des Dagara du Ghana (à Lawra, Baabyl, Nandom) noté la conviction tout aussi largement partagée que leurs ancêtres sont venus de la rive droite* («french Lor», côté français).

    C'est le cas des Dagara du clan des Kusiele de Lawra qui dans leurs pérégrinations, ont traversé une première fois le fleuve pour se retrouver à Batié, ηmmuõ  (Burkina Faso) et une deuxième fois pour s'établir à Baabyl puis Lawra.

   Les Dagara trouvèrent sur les lieux des habitations encore en bon état. Ce qui atteste que ceux qui y vivaient, venaient à peine de lever le camp.

Près d'une des constructions massives qu'ils trouvèrent se dressait un baobab. C'est d'ailleurs en se fondant sur l'âge de ce baobab (estimé, selon J. GOODY, entre 150 à 200 ans par les services forestiers) que l'on a évalué la date de la traversée (1730).

   À l’insécurité qui règne dans le Nord-Ouest du Ghana, il faudrait, écrit Cécile DE ROUVILLE, ajouter:

 

 

«la pression consécutive à la pénurie de terres qu'exercent les unes sur les autres les populations refoulées dans cette région [qui amenèrent] les Dian et après eux, les Lobi, puis les Birifor et, une partie des Dagara à traverser la Volta noire et à s'installer sur la rive droite» (...) « Originaires du nord-ouest de l'actuel Ghana, ils étaient établis, il y a deux siècles, dans la région de Lawra et au sud de Lawra, près de la Volta noire. A la fin du XVIIIe siècle, ils traversent ce fleuve par petits groupes familiaux et s'installent progressivement sur la rive droite, dans l'actuel territoire de Haute-Volta. D'après les traditions historiques, le passage de la Volta se serait effectué en deux points: à la hauteur de Batié Nord et de Dapola-Nako. H. Labouret (1931, p. 28), se basant sur des généalogies, estime que les premières familles implantées dans la région de Batié Nord auraient franchi le fleuve en 1770, date qui paraît vraisemblable. Vers 1800, à l'arrivée des Birifor venant aussi du nord-ouest du Ghana, les Lobi étaient déjà tous passés sur la rive droite.» (Op. cit., p.38)..... «La fondation dans la première moitié du XVIIe siècle du royaume de Wa, rejeton de l'État dagomba, ne semble pas étrangère à ce mouvement de populations vers l'extrême nord-ouest du Ghana.» (Cf, J.C. Douglas : Wa and is people, Legon, Institute of African Studies, University of Ghana, 1966 - local studies sériés n° 1 ; en particulier p.15 sq.)

 

    H. LABOURET a écrit que des «Dagari » vivaient déjà à «Dolomon» (Dorimon) au XVIIe siècle et utilisaient la région autour de Buna comme leur zone de chasse.

   L'établissement des Dagara dans la région autour de Wa aurait eu lieu à la date de l'expédition de Darigudiemda (qui aurait eu lieu de 1552/155 à 1583-1584, selon E. TERRAY - 1984, 24) sur Buna se situerait alors entre 1517 et 1519 (selon les récits des traditions dagomba enregistré par TAMAKLOE en 1910).

   La date de cette expédition d'un Na dagomba semble plus récent que ne le pense BENNEDICT.

   Pour I. WILKS, la campagne contre Buna semble appartenir non au règne de Ya Na Darigudiemda (fils de Na Zulande) mais à un des Ya Na beaucoup plus tardif, Na Zokuli dont la fin de règne a pu être datée, avec quelques certitudes, vers 1714-1715 (kitab Ghanja). Il aurait régné pendant plus de cinquanteans.

Dans la tradition mamprugu, l'expédition à l'ouest de Na Atabia fut un des faits les plus marquants, de sorte: qu'un siècle après, elle continue d'être évoquée.

   H. LABOURET a élaboré une chronologie du passage de la Volta noire qui fait autorité.

   Pour ce faire il lui a fallu remettre en cause les dates avancées par M. DELAFOSSE dont les renseignements, dit-il, portent manifestement l'empreinte mandingue.

   Dans le Haut-Sénégal-Niger, DELAFOSSE, se tablant sur les renseignements fournis par les Jula, établit la chronologie suivante :

 

 

   1290: formation des Jã et des Gã;

   1350: invasion des Lobi à Gaoua et émigration des Gã à Lokosso;

   1690 : invasion des Birifor dans ta région de Gaoua;

   1820: fondation de Diébougou.

 

   La chronologie proposée par Henri LABOURET est la suivante :

 

 

   1770: Les premiers Jã franchissent le fleuve entre Kpomãn et ηmenuõ , au nord de fa Bougouriba (G. SAVONMET note que cette traversée se serait faite à partir de 1750);

   1770: Les premiers Lobi s'installent à Batié Nord.

   1790: Les premiers Dagara traversent la Volta noire et s'établissent dans la région de Saaia, au nord de la Bougouriba.

   1800: Les premiers Birifor s'installent à Batié Nord, «qui vient d'être abandonné par tes Lobi».

   1820: Les premiers Daga-Lobr traversent la Volta noire et s'établissent dans la région de Dissin, au nord de la Bougouriba (Cité par Cécile DE ROUVILLE: 1987, p.38).

 

 

Fin du XIXe siècle :

« À la fin du XIXe siècle, alors que les Lobi et les Birifor étaient depuis longtemps tous passés sur la rive gauche du fleuve, les Dagara (Wilé et Lobr), encore en majorité implantés au Ghana, continuaient leur mouvement migratoire vers l'actuelle Haute-Volta. »

 

 

 

 




20/07/2012
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