9e thèse : Le capitalisme dans notre pays, un mal nécessaire
9e thèse : Le capitalisme dans notre pays, un mal nécessaire
D’un point de vue général, on peut affirmer que depuis la colonisation il se pose le problème de l’articulation du mode de production capitaliste avec les formes de production ancestrales.
Analysant l’évolution des sociétés africaines dans leur composante paysanne et ouvrière, on est contraint d’aboutir à la conclusion que le mode de production capitaliste est un progrès par rapport au système d’exploitation des propriétés parcellaires issues de la décomposition progressive de la commune rurale et qu’il est illusoire de vouloir le dépasser lorsque toute une frange importante de la population continue de trouver en lui son salut.
Et pour nous, l’évidence du progrès que constitue le capitalisme, ne doit pas être entendue seulement du point de vue de la perspective du développement historique, mais aussi et surtout du point de vue du développement des forces productives, de la socialisation du travail, de l’amélioration des conditions matérielles de travail et d’existence des travailleurs, de l’accroissement de la mobilité et de la conscience sociale (c’est-à-dire, ouverture d’esprit et élargissement des connaissances liées à la technologie moderne).
La substitution de la main-d’œuvre libre aux prestations de travail dans l’agriculture, la substitution de l’industrie mécanique à l’industrie dite « artisanale », qui est un phénomène réel et qui s’opère (avec une extrême rapidité) sous nos yeux, cette substitution est à tous les égards un phénomène progressif : elle détruit la petite production manuelle, routinière, dispersée, caractérisée par son immobilité et sa stagnation séculaire; elle augmente la productivité du travail social et crée ainsi la possibilité d’élever le niveau de vie du travailleur; elle crée en outre les conditions qui font de cette possibilité une nécessité, etc.
Le salariat est intolérable certes, le paysannat insupportable sûrement, dans notre pays.
L'ouvrier d'aujourd'hui c'est ce paysan d'hier qui n'a pas encore rompu les attaches avec le monde rural et qui trouve au salaire que le capitaliste lui verse une amélioration de ses conditions d'existence. On comprend pourquoi, son regard dépassera difficilement les horizons bornés du capitalisme malgré tous les lendemains meilleurs qu’on chante à ses oreilles. Encore moins, il n’a cure qu’on lui dise de préserver ses structures et ses valeurs traditionnelles, lui qui cherche désespérément en s’en éloigner, impuissant qu’ils sont, lui et son système traditionnel, d’arrêter le rouleau compresseur du marché sous lequel nombre de ses pareils sont déjà passés.
Le capitalisme est un mal. Mais le capitalisme est un bien par rapport à l’économie patriarcale caractérisée par son immobilité et sa stagnation séculaire. Il est un bien par rapport à l’économie de la petite production marchande qui engendre la dispersion des énergies par l’éparpillement des petits producteurs.
Il est très significatif de constater que c’est au sein des sociétés ayant atteint un degré maximal de développement industriel que se développent les courants nostalgiques pour les sociétés mythiques, les sociétés d’une époque où l’homme vivait en harmonie avec la nature.
C’est face à de tels sentiments nostalgiques de retour vers un passé à jamais révolu que J.J. Rousseau a pu écrire :
« Il y a, je le sens, un âge auquel l’homme individuel voudrait s’arrêter : tu chercheras l’âge auquel tu désirerais que ton espèce se fût arrêtée. Mécontent de ton état présent par des raisons qui annoncent à ta postérité malheureuse de plus grands mécontentements encore, peut-être voudrais-tu pouvoir rétrograder ; et ce sentiment doit faire l’éloge de tes premiers aïeux, la critique de tes contemporains, et l’effroi de ceux qui auront le malheur de vivre après toi. » ([1]).
Les vices du capitalisme, pourrait-on dire, sont l’effet de ses vertus.
C’est pourquoi, aussi louable que soit la volonté de soustraire nos sociétés de l’ère de domination du capitalisme, il n’en demeure pas moins vrai que c’est un effort vain. Et ce, depuis que le capitalisme s’est érigé en système universel de production, le premier du genre, battant en brèche les « murailles de Chine » et autres valeurs communautaires même chez les pygmées de la forêt équatoriale, les Boschimans ou Saans de l’Afrique australe. Qu’un peuple ose résister à sa conquête et il est rayé de la surface de la terre et ce ne sont pas les arguments qui manquent aux chercheurs d’or et de profits; Vérité éprouvée aujourd’hui encore plus qu’il y a un siècle. Parce qu’aujourd’hui, ce n’est plus le marchand du commerce triangulaire, ni l’explorateur au casque colonial, ni le prêtre blanc qui amène la bonne parole après que la lame et la poudre aient accompli leur œuvre de soumission.
Tous ces agents extérieurs de la pénétration du capital sur le continent ont aujourd’hui leurs équivalents nationaux et que des liens invisibles lient à la métropole. Il faudrait par conséquent passer sur leurs corps pour opérer un retour à un système qui tire essentiellement ses valeurs de nos traditions ancestrales.
Le capitalisme est inévitable, car dans une atmosphère d’économie marchande, le capitalisme est un produit spontané de la petite production et de l’économie marchande.
Partout la modernisation a été accompagnée de la souffrance et de la disparition des liens de solidarité traditionnelle. Le développement sans traumatisme est un mythe moderne, une utopie.
Le capitalisme est un mal. C’est pourquoi l’humanité est à la recherche d’une alternative. Sous nos cieux, les alternatives s’expriment en termes de socialisme, et formulation d’une troisième voie.
Mais le capitalisme est un mal nécessaire.
[1] - J. J. Rousseau: De l’inégalité parmi les hommes in Le Contrat social. Édition les Unions Générale d’éditions, Paris 1973, 301
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