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8e thèse: La question paysanne comme question sociale essentielle aujourd’hui dans notre pays

8e thèse: La question paysanne comme question sociale essentielle aujourd’hui dans notre pays

 

 

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  La question sociale dans notre pays et en Afrique de façon générale, est une question paysanne. C’est la question de savoir à quel destin nos communautés rurales sont promises.

Tout programme politique, tout projet de société doit passer par l’épreuve de cette question sociale.

Les doctrines des partis politiques doivent être jugées en fonction de la vision qu’elles se font du destin de nos communautés rurales et de l’orientation qu’elles entendent imprimer à  l’évolution des choses.

Il convient par conséquent de faire le point sur ces différentes doctrines de développement, afin que notre jeunesse (surtout dans sa fraction scolaire et universitaire) sache, en toute connaissance de cause, pourquoi elles sont vouées à l’insuccès ou tout simplement à l’impossibilité.

Pourquoi, ces doctrines sont-elles des utopies et parfois même des utopies réactionnaires ?

Notre jeunesse doit être théoriquement armée pour être à même de juger et de prendre parti consciemment.

Et cela passe par un examen critique des différentes options opérées par les partis politiques dans notre pays, à travers leurs programmes ou leurs orientations politiques et leurs pratiques.

La communauté rurale peut-elle évoluer autrement que vers sa propre décomposition?      

La controverse des années 1880 entre intellectuels autour du devenir de la commune russe (le «mir») est d’une étonnante actualité en ce qui concerne le devenir des communes rurales africaines. Ces dernières, en effet, présentent des caractéristiques comparables à la commune rurale russe de 1880.

Marx fut invité à donner son opinion[1] sur le destin de la commune russe et sur la « la théorie qui veut que tous les peuples du monde soient contraints, par la nécessité historique de parcourir toutes les phases de la production capitaliste »

L'analyse contenue dans « Le Capital », Marx affirme dans sa réponse, l'avoir « expressément restreinte aux pays de l'Europe occidentale » qui « parcourent le même mouvement que celui qu’a subi l'Angleterre ».

Si en Occident, à l’époque de la conception de la théorie contenue dans « Le Capital », il s'est agit d'une transformation de la propriété privée en une autre forme de propriété privée, ailleurs par contre, comme en Russie, ce sera la transformation de la propriété commune en propriété privée.

Marx finit, dans sa réponse,  par se prononcer contre « la dissolution fatale de la commune des paysans russes ».

Pour que la commune rurale puisse constituer le point d’appui d’une régénération sociale en Russie, il faudrait d’abord,  affirme-t-il, « éliminer les influences délétères qui l’assail­lent de tous les côtés et ensuite lui assurer les conditions normales d’un développement spontané.. ».

Pour Marx donc, la dissolution de la commune est une évolution possible mais non fatale, car la si­tuation des communes rurales russes est totalement différente de la si­tuation des autres communes européennes disparues, pour les raisons suivantes:

 - les communes russes se sont maintenues à l’échelle nationale;

 - « grâce à la contemporanéité de la production capitaliste », les communes russes « peuvent s’en approprier tous les acquêts positifs sans passer par ses péripéties affreuses ».

 

La perspective dans laquelle Marx aborde l’avenir de la commune rurale se situe entre sa destruction sûre si elle maintient son évolution normale dans le cadre du développement capitaliste, et son passage au socialisme moderne en faisant l’économie de l’étape capitaliste.

L’alternative à laquelle est confrontée la commune rurale russe, c’est soit sa mort  fatale, soit sa transition vers un système économique que Marx définit comme « une production coopérative sur une propriété collective », « la pro­duction et l’appropriation collective ». Ce système économique c’est le  socialisme moderne.

L’alternative est ainsi formulée : ou l’élément de propriété privée l’em­portera sur l’élément collectif, ou celui-ci l’emportera sur celui-là.

Ces deux si­tuations sont a priori possibles, tout dépend des milieux historiques.

Mais l’évolution vers une forme supérieure de propriété collective, est rendue possible parce que la commune rurale russe est non seulement la contemporaine de la production capitaliste occidentale, ce qui lui permet de s’approprier ses performances techniques sans pour autant « s‘assujettir à son modus opérandi » ; mais elle a survécu à l’époque où le capitalisme est en crise et en passe d’être remplacé par « une forme supérieure du type « archaïque » de la propriété et de la production collective »

La question de l’avenir de la commune rurale se pose donc, non en termes de perspectives théoriques mais en termes d’une question posée et à résoudre.

Si cette transition selon Marx, se faisait en temps opportun, si elle bénéficiait du soutien de l’intelligentsia russe, la commune rurale se développerait alors comme un élément régénérateur de la société russe. Mais il faut d’abord la remettre en état sur ses fondements naturels.

Or, la base naturelle de la commune, c’est la propriété commune de la terre, qui est le fondement de la production et de l’appropriation col­lectives. Il faut donc y « éliminer le principe de la propriété privée, qu’elle implique aussi ».

Avec cette mise en état normal, elle pourra alors devenir le point de départ direct d’un système économique moderne et faire peau neuve sans commencer par son suicide.

Et pour ce faire, il faut dit Marx, la réalisation de certaines conditions :

-  le besoin économique d’une telle transformation : la bourgeoisie et les propriétaires fonciers se chargent de hâter ce besoin au niveau des paysans ;

-  les conditions matérielles pour l’accomplir : la « société russe qui a si longtemps vécu aux frais et dépens de la commune rurale lui doit les premières avances nécessaires pour ce changement ».

-  la commune rurale a besoin que « l’intelligence russe concentre toutes les forces vivantes du pays », pour son libre essor.

-  elle a besoin que « la production capitaliste lui prête ses résultats sans qu’elle ait besoin de passer pars ses fourches caudines ».

 

 

Engels constatera plus tard, en 1875[2] que la commune rurale russe avait dépassé le stade de son épanouissement et s’acheminait vers sa dissolution.

Tout en ne rejetant pas la possibilité de sa transformation en une forme supérieure d’organisation, il fit assortir cette possibilité de conditions:

- la transformation doit s’effectuer sur la base  de l’organisation collective et non de l’organisation individuelle du travail des paysans. Ceux-ci ne doivent pas passer par le degré intermédiaire de la propriété parcellaire bourgeoise.

- il faudra en outre une révolution prolétarienne victorieuse en Europe (notamment en France) qui donnera l’appui nécessaire (en ressources matérielles) au paysan russe pour lui permettre d’entreprendre le bouleversement requis dans tout son système d’agriculture.

 

Engels pense que c’est une ineptie de prétendre que les paysans russes, tout en étant propriétaires (même s’il s’agit d’une propriété commune), « sont plus près du socialisme » que les ouvriers sans propriété de l’Europe occidentale.

 

« C’est juste le contraire. S’il y a quelque chose qui puisse encore sauver la propriété communautaire russe et lui permettre de se changer en une forme nouvelle, bien vivace, c’est précisément la révolution prolétarienne en Europe occidentale »[3].

 

Engels  revient sur la question en 1894[4] en donnant une réponse sans équivoque à la question que Marx avait traitée sans donner une solution catégorique.

Faut-il que la Russie commence par détruire, conformément au vœu des libéraux, la communauté rurale pour favoriser l’essor du capitalisme, ou au contraire, pourra-t-elle s’approprier les acquis technologiques de ce système, pour imprimer une autre  évolution, en évitant les tourments du capitalisme ?

Pour Engels, cette dernière perspective relève de l’utopie, car la commune rurale, issue de l’organisation clanique (lignagère), n’a jamais pu évoluer autrement que vers sa propre décomposition[5].

Cette affirmation, Engels la tient pour si irréfutable et générale, que toute exception à la règle serait pour lui, non un contre argument, mais une question restant à élucider[6].

 La commune russe tout comme ses semblables qui ont existé en Europe occidentale et ailleurs durant des siècles (la marche allemande, le clan celte, la communauté indienne) ne  pourra pas non plus, se développer à partir d’elle-même vers une forme plus élevée de propriété commune. Ces communes qui ont disparu ont, au cours du temps, subi l’effet corrosif de la production marchande et des échanges entre familles isolées et personnes privées qui les entouraient et ont ainsi perdu progressivement de leur caractère communiste. Il s’est institué à leur place des communautés de propriétaires fonciers indépendants les uns des autres.

Pour ne pas connaître le même sort, il faudra à la commune russe qui est contemporaine du capitalisme, l’aide du prolétariat industriel de l’Ouest qui par la révolution substituera à la production capitaliste, la « production dirigée socialement » c’est à dire l’organisation socialiste.

C’est la condition sans laquelle la commune russe ne pourra développer une nouvelle forme de société.

On réalise, que c’est du sort des sociétés arriérées (du point de vue économique, cela s’entend!) qui veulent faire l’économie de l’étape de développement capitaliste, dont il est ici question.

C’est en ces termes que le destin de la commune russe a été abordé par Marx et Engels.

De 1880 à 1924, la Russie n’a pas pu éviter de subir les affres du capitalisme en passant par ses fourches caudines.

Tout comme ses semblables (la zadruga slave, la marche allemande, le clan écossais, la commune hindoue), la commune russe n’a produit autre chose que sa propre dissolution en communautés de propriétaires fonciers indépendants les uns des autres.

Les communes rurales africaines ne sont pas promises à un destin autre. Aujourd’hui encore plus qu’hier, car l’aide du prolétariat industriel de l’Occident fait défaut.

La tendance aujourd’hui, dans le monde, est favorable plutôt aux classes oppressives avec le phénomène de la mondialisation du capital (qui prend un accent particulier du fait de la désagrégation du camp socialiste) qu’aux prolétaires industriels dans leurs luttes pour l’avènement d’une révolution internationale des peuples.

 Plus près de nous, au IIe Congrès de l'Internationale communiste du 19 juillet au 7 août 1920, donc à une époque où, quelque part dans le monde (même si c’est en Russie arriérée), le prolétariat a accompli une révolution victorieuse, la question de savoir si le stade capitaliste de développement de l'économie était inévitable pour les peuples « arriérés »,  s'était posée.

Lénine, qui prenait part à ce Congrès, considéra que les pays « arriérés », en mouvement vers le progrès, pouvaient faire l'économie du capitalisme et que le passage par le capitalisme n'était pas une fatalité. Toutefois, cette opinion était assortie d’une condition :

 

« Si les pays arriérés bénéficient de l'aide et du soutien des pays au sein desquels le prolétariat a été victorieux (les pays socialistes), on aurait tort, dit Lénine de penser que le stade de développement capitaliste est inévitable pour ces pays. En les soutenant et en aidant ces pays par la formation des cadres, une meilleure organisation et l'émergence de l'organisation des soviets de paysans adaptés aux conditions précapitalistes qui sont les leurs, les pays arriérés peuvent parvenir au régime soviétique et, en passant par certains stades de développement, au communisme, en évitant le stade capitaliste »[7].

 

Aujourd’hui, il n’existe nulle part dans le monde, un pouvoir prolétarien à même de soutenir matériellement, les peuples qui veulent secouer le joug du capitalisme.

Le système capitaliste est devenu plus arrogant que jamais.

La situation dans le monde est trouble et complexe, et n’autorise pas de prédictions sur l’avenir.

Dans ces conditions, vouloir faire l’économie du développement capitaliste en cherchant à sauter pieds joints dans le développement socialiste, ou chercher à réaliser par une troisième voie une renaissance sociale,  devient une simple utopie.

 

 

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[1] - Cf. lettre de Vera Zassoulitch, 1881

[2] - Engels : « De la  question sociale en Russie ». Éditions du progrès, Moscou. 1970, T.II, pp.407-429

[3] - Op. cit, p. 414

[4] - Engels : « Postface pour l’article « de la question sociale en Russie », op. cit. pp.417-429.

[5] - Op. cit, p. 421

[6] - Engels à Kautsky : lettre du 2 mars 1883

[7] - Lénine : Le IIe Congrès de l'Internationale communiste, 19 juillet-7 août 1920. O.C., t.31, p.251-252

 



25/10/2011
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